On continue notre série d'articles consacré à la Peste noire. Aujourd'hui, épisode 14 : « Attention : morts en maraude ». Est-ce que vous saviez que la Peste a des conséquences profondes sur l'art médiéval ? Un thread ⬇️ ! #histoire 
Dès la fin du XIIIe siècle, peintres, auteurs et sculpteurs se passionnent pour la représentation des cadavres. Ainsi, le poème du Dit des trois morts et des trois vifs, écrit par Baudoin de Condé, probablement avant 1280
Le texte raconte la chasse de trois jeunes nobles, riches et vaniteux. Ils se perdent dans un cimetière et rencontrent trois cadavres qui leur disent « Nous fûmes ce que vous êtes ; vous serez ce que nous sommes »
Les morts rappellent qu’eux aussi étaient jeunes, beaux et nobles mais que la mort saisit tout le monde. Il faut donc faire le bien et fuir le péché, si l’on veut échapper à l’enfer
La plus ancienne représentation iconographique du thème figurerait dans les fresques du Camposanto de Pise, peintes vers 1355 (juste après la Peste !). À l’angle inférieur gauche du Triomphe de la Mort, les trois cadavres, statiques, sont allongés dans leur sépulture.
Au cours des décennies qui suivent, les trois morts sortent progressivement de leur tombeau et s’animent, debout face aux jeunes gens... Image : Le Dit des trois morts et les trois vifs, Psautier de Robert de Lisle, Ms Arundel 83 II, fol. 127 r. British Library, Londres
Les trois morts peuvent aussi effrayer les trois vifs et même les poursuivre : tenant des flèches (symbole de la maladie), une pelle ou une bêche, les trois cadavres menacent ici d’entraîner les jeunes nobles avec eux dans la mort ! Fresque de l'église de Lancôme, XVe siècle
Cet art macabre se voit également dans la sculpture, notamment dans les transis. Ce sont des sculptures funéraires représentant des corps morts et décharnés, nus ou à demi dénudés, enveloppés dans leur suaire.
Entre 1425 et 1428, le peintre florentin Masaccio représente au pied de sa célèbre Trinité (Santa Maria Novella, Florence) un squelette couché sur son tombeau. L’inscription met en garde les vivants : « J’ai été ce que vous êtes, et ce que je suis vous le serez. »
Le transi de Guillaume de Harcigny, médecin du roi Charles VI, réalisé vers 1393 (conservé au Musée de @villedelaon) laisse à la postérité le souvenir d’un corps décharné, criant de naturalisme. Le message est clair : tous sont égaux devant la mort
Même les plus nobles : le roi de France Louis XII et Anne de Bretagne reposant dans un superbe tombeau réalisé en 1531 par les frères Juste et placé dans la @BasiliqueSDenis
Alors que les souverains sont représentés agenouillés au sommet de l’édifice, leurs transis très réalistes sont déposés au registre inférieur. La double représentation (corps célestes/corps terrestres) invite à une méditation sur la mort et la résurrection
Idem pour le transi de la reine Claude de France, fille des précédents et première épouse de François Ier, qui la montre le buste dénudé, le corps squelettique, la tête rejetée en arrière
Le transi renvoie à une image bien connue des médiévaux : celle du Christ mort, avant sa mise au tombeau. La comparaison visuelle est une nouvelle manière de pousser les croyants à réfléchir aux liens entre la vie et la mort
Ces tombeaux sont certes spectaculaires, mais il ne faut pas oublier que les transis ne représentent que 5% du total des tombeaux au XVe siècle. Les goûts artistiques ne changent pas du jour au lendemain avec la peste, qui finalement ne fait qu'accélérer des évolutions déjà là
Reste que le lien est frappant entre ce nouveau réalisme mortuaire et le choc qu’a représenté dans tout l’Occident la mortalité liée à la peste. L’épidémie de coronavirus aura-t-elle également des conséquences artistiques ? L’avenir nous le dira… La suite au prochain épisode !
