Thread by @imparibus

Sérieux, cet article est la forme chimiquement pure des travers du journalisme éco français. Ça mérite un fil 1/n lemonde.fr/economie/artic…

La thèse rapidement : la part des importations dans la consommation des Français a plus que doublé depuis 50 ans. Horreur ! 2/n

On embraye sur le déficit commercial, la désindustrialisation et trois économistes qui se lamentent sur l'appareil productif français 3/n

Premier travers : l’incapacité du journaliste économique français à aller chercher et à manipuler lui-même les chiffres 4/n

Là, c’est l’Insee qui se tape le boulot et file la série annuelle depuis 1949. Sympa. 5/n

Ok, pour une fois, le calcul n’est pas totalement trivial : il faut déjà connaître les tableaux entrées-sorties 6/n insee.fr/fr/statistique…

(il faut aussi réussir à trouver quelque chose sur le nouveau site de l’Insee, ce qui est encore plus difficile) 7/n

Mais ne pas manipuler les chiffres signifie le plus souvent qu’on ne les comprend pas 8/n

D’où le deuxième travers : l’imprécision. L’article commente un ratio mais ne le définit jamais. Importations et consommation de quoi ? 9/n

Le texte parle d’importations de « produits » puis d'importations dans le « marché intérieur ». Le graphique évoque la « consommation » 10/n

Pas de bol, les trois notions sont différentes. Les ménages consomment des biens mais aussi des services 11/n

Et les deux sont des produits selon l’Insee insee.fr/fr/metadonnees… 12/n

Et les biens disponibles sur le marché intérieur ne sont pas uniquement destinés à la consommation des ménages 13/n

Troisième travers : l’absence de recul sur les données a.k.a. de raisonnement économique. 14/n

Il est clair que la part des biens importés dans la consommation augmente en France depuis 1950. Mais est-ce différent en Allemagne ? 15/n

Ou dans tout autre pays développé ? Ou même dans tout autre pays du monde autre que la Corée du Nord ? 16/n

Dans mon souvenir, on a (r)ouvert assez largement les frontières (au moins aux échanges commerciaux) depuis 1945. 17/n

On a fait aussi quelques progrès dans le transport de marchandises – point référence obligée 18/n amazon.com/Box-Shipping-C…

La hausse des importations n’est donc pas une anomalie, c’est *précisément* le but recherché par les politiques éco depuis 1945 19/n

Et truc complètement dingue : elle s’est accompagnée d’une hausse des exportations exactement au même rythme 20/n
perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/…

Alors oui, on importe nettement plus de vêtements qu’en 1949. On exporte nettement plus d’Airbus aussi 21/n

L’absence de ce type d’analyse ouvre grand la voie au 4e travers : les citations d’économistes façon micro-trottoir. 22/n

Une phrase chacun, généralement bien péremptoire, sans discussion critique. Ça suffit pour cocher la case "experts". 23/n

Résultat : un article qui aurait pu dire des choses intéressantes sur l’interconnexion croissante des économies… 24/n

… se vautre pile sous les deux mamelles du débat économique français : le mercantilisme et le fétichisme industriel. 25/n

Et c’est d’autant plus rageant que le déficit commercial est loin d’être un problème économique majeur de la France 26/n

Pour mémoire, la France avait un déficit courant proche de 0 en 2016 27/n
banque-france.fr/statistiques/b…

Et une position extérieure nette parmi les plus équilibrées des pays développés 28/n en.wikipedia.org/wiki/Net_inter…

Par contre, le taux de chômage est très élevé en France depuis plus de 30 ans. 29/n

Et, non, les deux n’ont pas de lien : l’Allemagne a un taux de chômage à 4 % et un excédent courant de 8 %. Le RU ? 4 % et *moins* 5 %. 30/n

Pour le dire vite après cette longue démonstration : France has 99 problems but the trade deficit ain’t one. 31/n

Mais ce n’est pas en lisant la presse française qu’on risque de le comprendre. FIN DU FLOOD