Longarone, c'est la petite ville dans la vallée du Piave, à quelques kilomètres du barrage. Un gros bourg, de quelques milliers d'habitants. C'est assez pour que dans les environs, ruraux et montagnards on l'appelle la "petite Milan"
À Longarone, on est restés très loin de la mobilisation et de la colère des villageois voisins du lac. Après tout, ce barrage il a surtout amené de l'emploi, un peu de prospérité. On voit plus de scooters et de motos en ville. Des gens ont pu acheter leur maison.
Quelques rares privilégiés ont même acheté une télévision. Mais pour la majorité des habitants, c'est encore dans les bars qu'on va voir les événements importants sur un écran en noir et blanc. Et il y a match ce soir ! Le Real Madrid joue contre les Glasgow Rangers. #REARAN
La journée touche à sa fin et le soleil commence déjà à descendre vers les cimes. À 17h, les carabiniers reçoivent l’ordre d’interdire le trafic sur la route du barrage. Longarone ne se doute de rien...Et les arbres sont de plus en plus nombreux à tomber, au dessus du lac.
Avant le match, on se retrouve pour l’apéritif, pour manger un morceau. Le match commence, mais le suspense ne dure pas longtemps. Ferenc Puskás ouvre le score dès la 3ème minute et fera un triplé. Le Real l'emportera 6 à 0.
Il est 22h. Une opératrice téléphonique de Longarone intercepte sans le vouloir une communication entre le poste de contrôle du barrage et Venise. Elle entend une description alarmiste de la situation et s'en émeut. On la rassure.
Là haut, le mouvement s’est encore accéléré. A 22h30, les techniciens chargés d’observer les points de repère au dessous de la zone de fracture constatent qu’après s’être accéléré, le mouvement et les bruits cessent. Tout est calme sur ce morceau de montagne, silencieux.
Un morceau de montagne. 2,5km de large, 600M de long. Des arbres, des animaux, des rochers, des sentiers. On met une petite demi-heure pour le traverser, d'un bon pas. Quelques petites racines, quelques roches, font encore tenir ces 200 millions de m3 à 22H38.
Et à 22H39, plus rien ne tient. La montagne se met à glisser à une vitesse vertigineuse. L'éboulement atteint les 25m/s, 90km/h et rompt le silence des hauteurs par un tumulte assourdissant. Les cables à haute tension sont arrachés et la vallée plonge dans le noir.
A Longarone on croit d’abord à un orage en montagne. On entend tonner là-haut et on voit des lueurs ressemblant à des éclairs. C'est assez banal après-tout au début de l'automne.
L’éboulement se précipite dans le lac qu’il comble instantanément. L’eau est soulevée à plus de 350m de haut dans une vague, un tsunami de 50 millions de mètres cubes. C'est tout d'abord un déluge d'eau et de pierre qui s'abat sur les maisons les plus basses de Erto et Casso. 
Charriant rochers, arbres, débris, la vague immense écrase ces maisons par le toit avant de passer par-dessus le barrage et de planer quelques instants au-dessus de la gorge.
A Longarone, un vent humide s’est levé. Un vent étrange. Pas les rafales habituelles qui accompagnent l'orage après une journée trop lourdes. Non un vent régulier, de plus en plus fort, qui ne s'arrête pas. Avec une odeur de boue et une humidité pénétrante.
La panique et la fuite commencèrent d’un coup, lorsqu’un cri jaillit et que tout le monde pensa avoir compris: “Le barrage !!”. Le barrage était toujours là, il avait tenu bon, n’avait pas bougé d'un pouce. Mais une masse d’eau colossale allait bien s'abattre sur Longarone.
Une masse d'eau ? Un cataclysme. Ce fut d’abord le souffle qui détruisit Longarone, fit exploser les maisons et écrasa les hommes et les femmes fuyant en panique ou dormant chez eux. Un souffle puissant comme deux Hiroshima dans une vallée encaissée.
Puis l’eau s’abattit et emporta tout, détruisit tout, mêlant pierres, bois, corps, autos, pour mêler le tout dans une boue inextricable sur des kilomètres et des kilomètres. Les rivières charrieront les corps méconnaissables des jours durant. L'horreur.
Dino Buzzati dans le @Corriere raconte:"Un caillou est tombé dans un verre d'eau et le trop plein s'est déversé sur la nappe. Mais le caillou était grand comme une montagne, le verre faisait des centaines de mètres et sur la nappe, des milliers de créatures humaines sans défense"
Près de 2000 personnes sont mortes ce 9 octobre 1963.
Trainant sur des années les procédure judiciaires indemnisèrent à peine les victimes et la condamnation la plus lourde fut de 3 ans avec sursis.
Le barrage est toujours là.
Trainant sur des années les procédure judiciaires indemnisèrent à peine les victimes et la condamnation la plus lourde fut de 3 ans avec sursis.
Le barrage est toujours là.
Ce thread vient d'un ancien billet de mon blog. Je me suis basé sur de nombreux articles et documents, en particulier ceux-ci
- le site de la catastophe : Vajont.net
- l’extraordinaire récit de l’acteur Marco Paolini “Il raconto del Vajont"
- le site de la catastophe : Vajont.net
- l’extraordinaire récit de l’acteur Marco Paolini “Il raconto del Vajont"
Et je vous conseille aussi le très beau film « La folie des hommes » de Renzo Martinelli avec Michel Serrault, Daniel Auteuil et Laura Morante
