Thread by @AgeMoyen

Les chiffres le disent, les insultes contre #Finkielkraut le montrent : l'#antisemitisme est reparti à la hausse. C'est un très vieux démon qui revient nous hanter... Et une grande partie de ses racines sont médiévales. Un thread ⬇️ ! #histoire #medievaltwitter

Une précision méthodologique avant de commencer : il s'agit d'un énorme sujet, et la bibliographie est plus que conséquente. L'article, et donc a fortiori ce thread, sont donc des résumés. Si vous voulez en savoir plus, n'hésitez pas à nous demander des conseils de #lecture !

Dès la fin de l'Antiquité, des communautés juives apparaissent en Occident, et vont se maintenir pendant toute la période médiévale. On en trouve en particulier beaucoup en Provence, en Espagne, en Allemagne...

Les juifs pratiquent leur religion dans des lieux qui leur sont propres mais vivent au milieu de la population chrétienne. Les recherches des médiévistes (Juliette Sibon notamment) montrent bien la densité des contacts commerciaux, sociaux, culturels, etc

Très tôt, les juifs font pourtant l'objet d'une méfiance diffuse. On les accuse d'abord d'être un peuple « déicide », c'est-à-dire coupable d'avoir tué le Christ. Le reproche constitue un terreau pour de nombreux fantasmes

Vers la fin du XIIe siècle, on commence par exemple à accuser les juifs de massacrer des enfants chrétiens, de torturer des hosties (qui saignent en signe de protestation), de profaner des images pieuses ou encore d'empoisonner les puits des chrétiens...

Ces rumeurs, diffusées dans des récits ou des sermons, nourrissent un antijudaïsme diffus. Antijudaïsme, oui, et pas antisémitisme : même si c'est encore discuté par les médiévistes, on s'accorde généralement pour dire qu'il n'y a pas vraiment de haine raciale au Moyen Âge

Le juif est détesté car il est membre d'une autre religion : en théorie, il peut se convertir au christianisme quand il veut. Alors que pour l'antisémite, le juif ne peut jamais cesser de l'être. On est dans deux logiques très différentes

L'hostilité médiévale envers les juifs a aussi des raisons économiques et sociales : échappant à l'interdiction ecclésiale de pratiquer l'usure, les juifs investissent souvent cette profession – d'où ce trèèèès vieux cliché des « juifs qui aiment l'argent »

Or l'argent liquide est globalement mal vu au Moyen Âge et l'Eglise stigmatise ceux qui en font commerce. En plus, les usuriers sont associés à Judas, qui a vendu le Christ. Toutes ces figures négatives (juif / Judas / usurier) se mélangent et se nourrissent mutuellement

Les agressions ponctuelles sont très fréquentes dans les sources. Un exemple parmi des milliers d'autres : en 1312, à Manosque, un prêteur juif venu d'Angleterre, Simon de Cricklade, est insulté, frappé et poignardé par l'un de ses clients chrétiens qu'il a croisé dans la rue

Cette hostilité latente est avivée dans des périodes de crise (pendant la Peste par exemple) ou d'exaltation religieuse : en 1096, de nombreux croisés massacrent des juifs en Rhénanie, dans un élan de purification religieuse et de vengeance vis à vis des "ennemis de Dieu"

Mais ces violences expriment également des tensions sociales et politiques plus larges. En 1320, dans le sud-ouest du royaume de France, les "Pastoureaux" massacrent des juifs, mais s'en prennent aussi à des officiers royaux

Les juifs sont en effet sous la protection directe du roi (on parle de "juifs du roi", comme plus tard de "juifs du pape") : s'en prendre à eux est dès lors une façon de critiquer l'autorité royale – ce qu'évidemment il vaut mieux ne pas faire trop directement au Moyen Âge...

Comment réagissent les autorités ? L'Eglise ne cesse de rappeler pendant des siècles que les juifs ne doivent pas être massacrés, insultés ou baptisés de force. Plusieurs ecclésiastiques protègent les juifs lors des poussées de violence, avec plus ou moins de succès...

En même temps, c'est l'Eglise qui prend un certain nombre de mesures ségrégatives, notamment pour empêcher les mariages entre juifs et chrétiens : la plus (tristement) célèbre est le port de la rouelle, ce rond de tissu jaune à porter sur soi, imposé au concile de Narbonne (1227)

Le roi de France, lui, est dans une situation plus complexe. En 1320, Philippe V opte pour la fermeté : les Pastoureaux sont réprimés et des amendes imposées aux communautés qui ont massacré des juifs. Le roi réaffirme ainsi que les juifs sont sous sa protection

Mais cela nourrit le ressentiment populaire contre ces juifs « protégés par le pouvoir ». L'année suivante, les massacres reprennent de plus bel, parfois soutenus par des autorités communales. Cette fois, Philippe ferme les yeux et renonce à protéger les juifs

A d'autres moments, d'autres rois n'hésiteront pas à expulser les juifs de leur territoire... pour mieux les réadmettre ensuite. Une façon pour le roi de montrer son autorité sur son royaume et sur ses populations. Voir le dernier livre de J. Sibon :
nonfiction.fr/article-8722-e…

Le Moyen Âge n'a aucune solution à offrir face à la montée de l'antisémitisme aujourd'hui. L'histoire ne peut que nous faire réfléchir : à nous de trouver comment nous débarrasser de ces spectres dangereux. Retrouvez notre article du jour :
actuelmoyenage.wordpress.com/2019/02/21/le-…