Thread by @AgeMoyen

Le mépris social engendré par le mouvement des #GiletsJaunes est multiforme. L’une de ses composantes est une très ancienne « haine du pauvre ». Or c’est au Moyen Âge qu’on a commencé à détester les pauvres… Petit thread pour notre article du jour ! ⬇️ #histoire #medievaltwitter

Jusqu’aux XIIe-XIIIe siècle, le pauvre est vu comme une image du Christ (« heureux vous les pauvres, le royaume de Dieu est à vous »). D’où une tentation de la pauvreté permanente, qui atteint son apogée avec les ordres mendiants : ici, François jure fidélité à Dame Pauvreté

Il y a aussi l’idée, très forte dans les mentalités médiévales, que tout tourne, ou du moins que tout peut tourner. Le riche peut devenir pauvre en un clin d’œil ; le pauvre peut s’élever très haut. Cette vision encourage une certaine bienveillance envers les pauvres

D’où tous ces contes dans lesquels le pauvre/le mendiant/le vagabond sont en réalité des princes ou des bonnes fées dissimulées… Le généreux donateur est récompensé, l’égoïste est sévèrement puni (oui oui, c’est le début de la Belle et la Bête #disneyforever #noshame)

Aider le pauvre est dès lors l’une des façons les plus efficaces de faire son salut. Le Moyen Âge valorise ainsi énormément la figure de saint Martin, partageant son manteau avec un pauvre - c’est même le saint patron du royaume de France (à bon entendeur...)

Les penseurs du temps réfléchissent en profondeur à ce que signifie la pauvreté, la richesse, la propriété... Thomas d’Aquin par exemple va jusqu’à légitimer le vol, quand c’est une question de survie : à ce moment-là, la propriété privée n’existe plus, tout appartient à tous

Ces réflexions nourrissent une réflexion plus large sur la notion même de « bien commun », donc de « chose publique »… donc sur la nature profonde de l’Etat et sur la mise en place de mécanismes de redistribution (et oui, rien que ça)

Par exemple, les évêques font dresser des listes de pauvres (les matricules), à qui sont redistribués une partie (en gros 1/3) des revenus ecclésiastiques. Les malades, les estropiés et les vieillards sont aidés d’une façon permanente ; les autres, le temps de retrouver un emploi

Mais, à partir du XIIIe-XIVe siècle, le nombre de pauvres augmente fortement (du fait d’une augmentation démographique globale + crises alimentaires + Peste noire et autres joyeusetés du temps). Le pauvre devient de plus en plus indésirable : il est de + en + vu comme un parasite

En 1494, Brant, dans son ouvrage La Nef des Fous, dénonce (déjà… !) la multiplication des assistés, qui vivent aux crochets de la générosité d’autrui et de ce qu’on n’appelle pas encore des allocations, alors que selon lui ils « pourraient travailler » (là aussi, déjà... !)

Dans les villes, les bourgeois s’organisent pour fermer leurs quartiers par des chaînes, pour éviter que des « pauvres et étrangers » s’y installent. Les villes expulsent les pauvres, qui errent alors sur les routes. On passe de la compassion à la méfiance, voire au rejet

La figure du pauvre se confond de plus en plus avec celle d’autres marginaux : voleurs, juifs, hérétiques, lépreux, étrangers, etc. Toutes ces images se répondent et se confondent, et ça participe d’une vraie diabolisation de la pauvreté

Enfin, c’est également à cette époque qu’émerge un discours rendant les pauvres responsables de leur sort. S’ils sont devenus pauvres, ou s’ils le restent, c’est « leur faute ». Evidemment, un tel discours n’incite pas à la charité…

Ce discours diabolisateur et culpabilisateur est plus vif ajd que jamais : cf cet article sur @lemondefr sur un couple de gilets jaunes, qui a entraîné une avalanche de commentaires paternalistes ou méprisants sur leur façon de (mal) gérer leur budget
lemonde.fr/societe/articl…

Peu à peu vidée de son sens spirituel, la pauvreté est devenue un problème social, qu’il faut "régler", en même temps qu'une faute morale. Notre article d’aujourd'hui, initialement publié sur @FR_Conversation, à retrouver sur notre site :
actuelmoyenage.wordpress.com/2018/12/27/du-…