Thread by @Florielvm

En prévision de la commémoration du 8 mai 1945 marquant la capitulation de l'Allemagne nazie, j'ai écrit un discours qui a normalement été prononcé ce matin devant un Monument aux Morts en Alsace (devinez lequel).
#Thread

Pour écrire ce discours, et pour en écrire un autre avant celui-ci pour la commémoration des 100 ans de l'armistice du 11 novembre 1918, j'ai longuement étudié l'Histoire de l'Alsace et des alsaciens pendant les deux guerres.

Étant originaire de Normandie, j'ai reçu une éducation bien particulière. Ma ville natale fait partie des nombreuses villes qui furent intégralement rasées entre 1944 et 1945.
J'ai grandit dans une région où il était courant de trouver des obus à désamorcer.

Mes grands-parents avaient hérité de leurs parents la haine du "boche" ou du "chleu" si bien qu'apprendre l'allemand était pour eux complètement hérétique.

Chaque fois qu'on allait quelque part on passait devant des cimetières de guerre, et je n'ai pas attendu longtemps avant de demander à mes parents la raison d'être de ces cimetières remplis de croix blanches de plusieurs formes soigneusement alignées les unes derrière les autres.

Mais revenons en Alsace.

Le 8 mai 1941, le Gauleiter Wagner, dirigeant de fait de l’Alsace depuis le 20 juin 1940, qui prend ses ordres auprès d’Hitler directement, met en place en Alsace le Reichsarbeitsdienst, connu aussi sous le nom de RAD, le service de travail du Reich.

Le RAD verra passer des centaines de jeunes adultes alsaciens et alsaciennes.
Beaucoup d'entre eux seront ensuite incorporés de force dans les différents service militaires de l'armée nazie : Wehrmacht, KHD, Waffen-SS...

Rares étaient les Alsaciens heureux de leur sort, leur famille ayant bien souvent été menacée, ils ont combattu pour les nazis avec le couteau sous la gorge.

On les appelle les Malgré-Nous.

L'Alsace a toujours été un lieu stratégique que les deux camps de sont arrachés l'un à l'autre entre 1870 et 1945.
Les Alsaciens parlent français et allemand, l'alsacien étant un dialecte allemand.
Mais les alsaciens se considèrent avant tout comme des français.

En 1941, les Allemands n'ont pas confiance dans les Alsaciens qui parlent les deux langues. Ils sont une menace sur le front, ils pourraient fraterniser avec l'ennemi et leur faire perdre la guerre.
C'est donc sur le front Russe que la plupart des Alsaciens feront la guerre.

Voici l'histoire de Marie Rhinn.
Née à Schiltigheim, Marie avait 14 ans lorsque la guerre a éclaté en 1939.
À 18 ans, elle entre au RAD comme la totalité de ses camarades de classe.
Plus tard, elle est incorporée de force au KHD, le service auxiliaire de l'armée nazie.

Marie est envoyée sur le navire-hôpital W. Gustloff dans la baie de Dantzig.
Ceux qui connaissent le destin tragique de ce navire vont très vite deviner ce qu'il est advenu de la jeune schilikoise.

Le Gustloff, qui tient son nom d'un militant nazi assassiné en 1936, était un navire de croisière pouvant accueillir près de 1900 passagers.
À destination de la classe ouvrière, il avait la particularité de proposer aux passagers et à l'équipage des cabines de taille identique.

Il a été lancé le 5 mai 1937 à Hambourg mais a très rapidement été réquisitionné par l'armée nazie pour servir de navire-hôpital. Il restera au port de Gotenhafen entre 1940 et 1945 pour y faire office de caserne flottante.

Le 30 janvier 1945, au cœur de l'hiver, des milliers de réfugiés de Prusse-Occidentale cherchent à fuir l'Armée Rouge.
Acculée, l'Allemagne déclenche l'opération Hannibal : évacuation de la population sur 4 grands navires, dont le W. Gustloff, à destination de Flensbourg et Kiel.

Le W. Gustloff peut accueillir moins de 1900 personnes en service normal.
D'après les registres, près de 5000 personnes seraient montées à bord pendant l'opération.
D'après les recherches récentes, on estime que 10 582 passagers se trouvaient ce jour là sur le navire en fuite.

Parmi ces personnes, Marie, notre jeune infirmière schilikoise, incorporée de force, ainsi que près de 4000 enfants plus jeunes encore.

Alors que le navire quitte le port, il est repéré par un sous-marin soviétique qui tire 4 torpilles.
3 atteindront leur cible.
50 minutes plus tard, après avoir vu ses passagers s'entretuer afin d'éviter une mort plus atroce encore, le W. Gustloff aura fini de sombrer.

Dans la mer gelée de la baie de Dantzig, la mort survient très vite une fois que vous êtes dans l'eau.
9 586 personnes trouvèrent la mort dans ce qui est encore aujourd'hui le naufrage le plus meurtrier de tous les temps.
Marie ne rentrera jamais chez elle.

L'Histoire a voulu effacer les Malgré-Nous ainsi que les dizaines de milliers de morts dans le camp allemand, mais il y avait des civils, des personnes qui n'ont pas demandé à vivre dans ce pays, qui n'ont pas choisi le nazisme mais qui ont subit le pouvoir en place.

Aujourd'hui, et de plus en plus depuis quelques années, la parole se libère.
Il n'est pas question d'excuser le nazisme et ses ravages, jamais.
Il est question de permettre aux familles des victimes de faire leur deuil.
Et des victimes, il y en a eu beaucoup dans les deux camps.

Je voulais vous raconter cette histoire parce qu'elle m'a marquée.
J'ai découvert les Malgré-Nous en arrivant en Alsace et avec eux l'horreur que peut engendrer une idéologie telle que le nazisme.

Si nous laissons la haine s'entretenir, si nous participons à son rayonnement en utilisant les mêmes arguments qu'elle pour convaincre ses partisans, alors nous devons nous attendre à ce qu'elle continue de s'épanouir dans les esprits de nos concitoyens.

Et ça, c'est tout simplement inacceptable.
L'Europe avait été créée notamment pour éviter une nouvelle guerre, nous devons tout mettre en œuvre pour la protéger, quitte à la changer pour en faire une Europe à notre image.

Ce thread est loin de rendre hommage aux Malgré-Nous, mais le 8 mai 1945 est une date toute particulière de notre Histoire, une victoire décisive sur la haine, souvenons-nous de ce que notre pays et nos voisins ont vécu pour dire ensemble : Plus jamais ça.