Thread by @TristanKamin

Petit détour pharmacie en rentrant du boulot...
Et du coup l'occasion d'un petit thread orienté sûreté #nucléaire.

#Iode #PPI @ASN @EDFFlamanville

La sûreté des installations nucléaires, à la conception, dans leur exploitation, et leur maintenance et démantèlement, elle repose sur une démarche que l'on appelle « défense en profondeur ».

On retient cinq niveaux de défense en profondeur. Je les expliquais et les illustrais en détail dans ce thread :

https://twitter.com/TristanKamin/status/1127200095076745216

Vous pouvez le garder sous le coude, dans 3 semaines on sera aux vingt ans de « ce jour où la France a frôlé la catastrophe nucléaire », les verts et assimilés vont pas hésiter à nous le ressortir, donc thread prêt à dégainer 😈

Pour ce soir, on va se limiter à une vision moins détaillée, où l'on résume la défense en profondeur à 3 degrés :
Prévention,
Détection,
Mitigation.

Et l'on va envisager le cas d'un accident nucléaire majeur d'un réacteur de puissance.

La prévention, la détection, c'est l'exploitant qui en est seul responsable. À lui d'assurer la sûreté de son installation, et de déceler et signaler assez rapidement une dérive de son exploitation qui peut avoir des conséquences graves.

Déclenchement du Plan d'Urgence Interne et, si menace pour les populations, Plan Particulier d'Intervention (PPI).

Lorsque le PPI est déclenché, on est alors dans la mitigation, qui repose aussi sur les pouvoirs publics et les individus.

Historiquement, le PPI concernait toutes les communes au moins partiellement inclues dans un cercle de rayon 10 km autour des centrales. Les PPI sont en cours de révision pour monter à 20 km (et perso, ça me fait entrer dans celui de Flamanville).

Dans le PPI, il y a plusieurs niveaux de protection des populations. En très simplifié, ça va aller du confinement des populations à l'évacuation pure et simple en passant par les prises des fameuses "pilules d'iode".
Mais pourquoiqu'est-ce ?

Revenons dans le réacteur qui part en vrille (PAS LITTÉRALEMENT @YELLOWCOMET).
Et dans un cas (grosse excursion de puissance, ou perte locale ou généralisée du refroidissement) où les gaines de combustible seraient plus ou moins endommagées, voire le combustible en fusion.

Une partie de ce que contiennent les gaines du combustible (sous pression), et notamment les produits de fission vont s'échapper dans le circuit primaire. Perte de la première barrière de confinement.

Si on a une perte de refroidissement, y'a des chances que ce soit parce que le primaire a ouvert quelque part. Ou sinon, l'eau va chauffer, s'évaporer, monter en pression, et faire claquer des soupapes si rien n'est fait.

Il y a donc risque de perte de la deuxième barrière de confinement, et de relargage des produits de fission dans l'enceinte de confinement. Et à terme, relargage délibéré ou subi, avec ou sans filtration, en dehors de l'enceinte, donc dans l'environnement.

Tout est fait pour que ça n'arrive pas, mais la sûreté, c'est d'envisager que ça arrive quand même.
Du coup, ces produits de fission, quels sont-ils ?
Pour l'essentiel, des gaz rares (Xénon, Krypton) et des aérosols (césium, strontium, iodes).

Il n'y a pas QUE ça mais le reste est moins volatil donc se dispersera très peu. Mais ceux là sont sous forme gazeuse ou de particules entraînées par les gaz, donc sont susceptibles de s'échapper.

Les gaz rares sont des vicieux... Mais pas trop : vu qu'ils n'ont aucune réactivité chimique, ils vont traverses les filtres comme s'ils n'existaient pas et entièrement partir dans l'atmosphère.

Mais ça va faire pareil dans l'environnement et nos poumons : ils vont passer, mais rien ne va les retenir, ils ne vont se fixer nulle part, donc le danger est éphémère et le risque pas bien grand. En plus ils vont être peu concentrés, facilement balayés par les vents.

Les autres PF, c'est autre chose. Le césium, le strontium, c'est sur le long terme qu'ils vont poser problème, en se fixant sur l'environnement et donc en exposant chroniquement par l'alimentation ou la consommation d'eau. Ce sont eux qui justifient les longues évacuations.

L'iode, c'est encore une autre affaire. C'est essentiellement d'iode 131 dont il s'agira, volatil, très irradiant, mais à demi-vie de quelques jours seulement.
Et la thyroïde est un super filtre à iode, il s'y fixe à merveille, provoquant une forte irradiation au contact même.

Et si, pour l'adulte, la thyroïde est une glande assez, je dirais, robuste... Chez l'enfant, elle se développe rapidement, et si des mutations nocives ou indésirables y sont induites par les rayonnements, elles vont se développer rapidement aussi.

D'où ces histoires de comprimés d'iode. Ils saturent la thyroïde en iode stable, ce qui ne permet pas à l'iode radioactif de s'y fixer, et donc, comme pour les gaz rares, l'exposition est passagère et donc la dose reçue considérablement réduite.

La distribution de cet iode est donc un moyen d'insérer de la prévention dans la mitigation.
Et c'est d'autant plus efficace que l'iode est pris rapidement, idéalement deux heures avant l'exposition. D'où l'importance du volet "détection" de la défense en profondeur.

Et de la transparence de l'exploitant... Parce qu'entre le moment où il va se rendre compte que c'est la merde dans son réacteur, que du combustible dégaze dans le primaire, et le moment où le primaire dégorge dans l'enceinte, et le moment où il décide de ventiler l'enceinte...

(et le temps que le panache contaminé se déplace)... Il se passe bien assez de temps pour pouvoir alerter les autorités et, si besoin, ordonner la prise d'iode stable.

Les antinucs disent souvent "ça sert à rien, faut le prendre deux heures avant, donc sauf à voir l'avenir ça sert à rien".
Bien sûr que si, ça sert, parce qu'un accident, tu peux tout à fait le voir venir plusieurs heures en avance.

COMMENT SAVOIR S'IL FAUT PRENDRE DE L'IODE ?
En cas de déclenchement du PPI, ce sont les sirènes d'alerte de votre commune qui seront votre premier moyen d'information, puis les médias. TRÈS IMPORTANTS, LES MÉDIAS.

Si vous entendez les sirènes d'alerte, suivez les infos des chaînes publiques, notamment régionales (France Bleu notamment). Avoir un poste radio à piles (et des piles) est important, parce qu'un cumul avec une coupure de courant est toujours possible.

Prenez pas les pastilles d'iode dès que les sirènes sonnent, ça serait con de se médicamenter à l'iode pour une alerte au raz-de-marée ou un accident dans une usine de lubrifiants.
Suivez les informations et prenez-les sur consigne uniquement.

Cherchez pas dans les médias alternatifs qui vont se jeter sur l'occasion de terroriser les gens, vous la jouez pas tête brûlée à dire "si la préfecture dit que y'en a pas besoin, alors il faut en prendre", appliquez les consignes, de grâce.

En prendre pour rien c'est pas terrible mais c'est pas le bout du monde, par contre en prendre sans consigne parce qu'il y a des infos sur un accident, c'est un coup à ne plus en avoir si les rejets ont lieu le lendemain.

Pour rappel, la chronologie des rejets à Fukushima. Ça commence trois jours après le tsunami et ça s'étale sur une semaine...

Source : lodel.irevues.inist.fr/pollution-atmo…

J'insiste : SUIVEZ LES CONSIGNES.

Y compris celles sur le confinement et/ou l'évacuation.
Et sur le fait de ne PAS aller chercher vos enfants s'ils sont à l'école.
S'il faut se confiner, ils seront confinés, s'il faut évacuer, ils seront évacués.

Confinez-vous, ou évacuez tel que l'indiquent les autorités. N'EN FAITES PAS À VOTRE TÊTE.
Vous n'avez aucune envie de vous retrouver en voiture à l'arrêt dans un embouteillage, à respirer un panache radioactif parce que vous aurez voulu aller à l'école plutôt que rester confiné.

Et vous avez encore moins envie d'être dans la même situation mais avec votre gamin, après l'avoir récupéré.

J'insiste mais par pitié, n'en faites pas à votre tête en cas d'accident industriel (pas que nucléaire, en fait) grave.

Plus on agira comme un ensemble cohérent, mieux ça se passera.
Je le dis souvent ici et je le redis une fois encore : souvent, en cas d'accident nucléaire, la gestion de la crise et post-crise tue bien plus que les retombées radioactives.

Le comportement de chacun pendant l'évacuation en fait partie.

Three Mile Island est un exemple con : rejets très faibles, aucune évacuation requise, mais beaucoup de gens qui paniquent et évacuent quand même -> Blessés et morts dans des accidents de la route.

Et si vraiment l'idée de laisser vos enfants aux mains de l'école dans un tel scénario vous angoisse, voilà déjà une chose que vous pouvez faire :
Si votre commune est concernée par le PPI, écrivez à la direction de l'école pour demander s'ils ont l'iode qu'ils doivent avoir.

90% des écoles au moins sont OK, mais les 5 à 10% qui restent sont de trop.

Et si vous fréquentez ou travaillez dans un établissement recevant du public dans une commune PPI, mettez leur la pression pour qu'ils retirent l'iode qu'ils doivent avoir.

Les statistiques sont vraiment pas fôlichonnes à ce niveau...

asn.fr/Informer/Actua…

La sûreté d'une installation nucléaire est la pleine responsabilité de son exploitant.

Mais la sûreté repose sur notre capacité à envisager que l'impensable se produise et à être prêt pour ça, et ça passe aussi par nos comportements individuels.

#Fin

Quelques compléments au fil de vos retours :

Ces comprimés ne sont pas en vente, c'est en distribution gratuite dans toutes (je crois ?) les pharmacies des communes concernées par le PPI.

Si vous êtes concernés, vous êtes censés recevoir deux documents par courrier :

Le premier vous expliquant le PPI, les réflexes à avoir, tout ça.
Le second est un bon pour aller retirer l'iode à la pharmacie.

Perso j'ai reçu le premier y'a plus de six mois je pense... Mais jamais le second.

Dans ce cas, vous pouvez quand même vous rendre en pharmacie.
Normalement il faut un justificatif de domicile. Ma pharmacienne ne me l'a pas demandé (prenez le quand même !), mais elle a enregistré mon nom, prénom et code postal dans un fichier numérique.

Rien eu à payer, évidemment.
D'ailleurs sachez que c'est pas le contribuable qui finance ça, mais EDF (et les éventuels autres exploitants concernés, en fonction de leur implication).

Au passage poke @santearmees qui assure la distribution des comprimés et #CampagneIode, qui était le bon hashtag à utiliser en lien avec cette campagne.

Je reviens aussi encore une fois sur l'idée de ne pas en faire qu'à sa tête en cas d'accident :

il est possible d'avoir des accidents nucléaires avec rejets importants qui ne nécessitent pas de prendre de l'iode. Si les autorités ne disent pas d'en prendre (ou disent de ne pas en prendre) malgré un accident grave, c'est pas forcément un complot / une dissimulation.

Par exemple, un accident concernant les piscines d'entreposage de combustible.
Je disais que le principal radionucléide d'iode c'était l'iode 131, et sa demi-vie de quelques jours.
Un réacteur en production en regorge.

Par contre du combustible qui refroidit depuis des mois ou des années dans sa piscine, lui, n'en contient pas, ou des quantités infimes.
C'est juste un exemple, juste pour montrer que des situations à priori contradictoire (accident mais sans iode radioactif) sont possibles.