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Les hôpitaux sont en colère et je souhaite me joindre à eux et attirer l'attention d'@agnesbuzyn et du Ministère @MinSoliSante sur le droit à être soigné et à mourir dignement. Ayant perdu ma mère cet été, j'ai été touchée de près par cette question.
En janvier 2018, nous apprenions que ma mère avait un cancer du pancréas. Les émotions et les épreuves qu'impliquent ce genre d'événement sont évidemment particulièrement difficiles (la fin de ma thèse a été assez violente), mais personne n'y peut rien.
En revanche les conditions d'accueil à l'hôpital ont été déplorables, psychologiquement très éprouvantes, avec un personnel très réduit, stressé, ayant très peu de temps à nous consacrer, dans un contexte où notre détresse était immense.
Je me souviens en particulier d'une matinée où, arrivant à l'hôpital pour la visiter et alors qu'elle se portait assez bien la veille, je l'ai trouvée dans un état déplorable avec une grande fièvre et parlant à peine, les draps souillés, seule dans sa chambre.
En panique et en larmes, il m'a fallu attendre environ trois quart d'heures pour qu'un médecin arrive et m'explique qu'elle avait contracté un virus. Une bien longue attente seule à son chevet, pensant ma mère à l'agonie et ne sachant pas si je devais contacter en urgence
le reste de la famille ou ne pas les affoler pour rien (elle est décédée la semaine suivante). Ceci n'est qu'un exemple parmi tant d'autres auxquels nous avons été confrontés pendant un an et demi de maladie.
En aucun cas je ne blâme ici les personnes qui l'ont prise en charge, mais bien les conditions de travail qui leur sont imposées, complètement intenables et inefficaces pour pouvoir exercer leur métier comme il se doit.
Je trouve extrêmement indécent de traiter ainsi à la fois des personnes dont la profession est littéralement vitale, mais aussi l'ensemble d'un pays, puisque l'on sera, pour la très grande majorité d'entre nous, contraints de passer un jour par la case hôpital.
J'aimerais ajouter un deuxième point qui m'a semblé crucial et m'a le plus marquée dans cette expérience, c'est l'atrocité et l'inhumanité qui s'exercent sur nos fins de vie en raison de l'interdiction de l'euthanasie active.
Disclaimer, je ne parle pas ici des cas très complexes de comas etc mais bien de la situation où on arrive aux termes d'une agonie,
où tout le corps est ravagé et dysfonctionnel, où la personne n'est plus que douleur et où les médecins disent "c'est fini, la seule issue c'est la mort, on arrête de maintenir la personne en vie."
Le cancer du pancréas est extrêmement foudroyant, quelques semaines ou quelques mois le plus souvent. Ma mère était jeune quand la maladie s'est déclarée, 58 ans, elle a tenu 1 an et demi, ce qui est déjà énorme. Toutefois, au mois de juin, la maladie s'est accélérée d'un coup.
Le mardi 2 juillet nous nous promenions dans le parc de l'hôpital toutes les deux, la semaine suivante elle était morte. Son état s'est précipité et nous avons vécu une semaine d'agonie terrible. Très vite ma mère n'a plus pu manger, marcher, parler, même boire.
Le lundi 8, les médecins nous ont annoncé qu'ils arrêtaient de l'alimenter par perfusion car il ne servait à rien de prolonger sa souffrance,
ce que nous approuvions totalement et nous savions aussi, pour avoir eu ces discussions avec elle, que ma mère ne voulait pas d'acharnement thérapeutique, elle avait même refusé de reprendre la chimio.
A partir de là, il fallait alors attendre que le cœur s'arrête tout seul, puisque l'euthanasie active est interdite. Cela a duré deux jours et trois nuits.
Deux jours et trois nuits d'angoisse à se relayer pour être auprès d'elle, à lui tenir la main, à écouter son râle et les gémissements de douleur qu'elle poussait.
Deux jours et trois nuits à la voir la bouche ouverte, les yeux mi-clos, le corps déformé par la maladie, à pleurer à son chevet en essayant de ne pas le faire trop fort au cas où elle nous entendrait.
Parce que c'est cette chose là qui m'a obsédée pendant ces longues heures et qui me tétanisait d'effroi : est-ce que ma mère est consciente de ce qui se passe ?
Quelle terreur cela doit être d'être enfermée dans un corps de douleur et de savoir que la seule issue possible c'est la fin. Une des dernières choses qu'elle m'a dite quand elle pouvait parler, c'était qu'elle avait peur.
Est-ce que les jours qui ont suivi ma mère était toute seule dans sa prison corporelle et que je ne pouvais rien faire pour la rassurer comme elle l'a fait pour moi toute ma vie ? Ou bien est-ce qu'elle dormait déjà et qu'elle ne souffrait plus ?
Sa dose de morphine était très élevée mais elle continuait de gémir. Les médecins nous ont dit qu'elle était dans un comas éthylique et qu'elle n'était probablement pas consciente. Avec ma sœur nous étions très soulagées à cette idée.
Mais il s'est passé une chose terrifiante le dernier jour. Nous avons continué jusqu'au bout à parler à notre mère, autant pour nous que pour elle. Mais la soirée avant la nuit de son décès,
elle a répondu un faible "oui" lorsque je lui proposais mécaniquement de lui humidifier la bouche. Une réaction qui m'a brisée. Ma mère m'a entendue et m'a répondu, d'un coup j'ai réalisé qu'elle était potentiellement consciente de tout ce qui se passait.
Plus tard et à deux reprises, des larmes ont coulé sur ses joues et cela m'a complètement déchirée. Les infirmières et les médecins nous ont expliqué qu'il pouvait s'agir de simples réflexes corporels mais qu'on ne pouvait pas en être certains.
Ce sont ces images qui me hantent aujourd'hui et qui me font régulièrement m'effondrer en larmes. Je suis horrifiée à l'idée qu'on ait infligé des jours d'agonie à ma mère, une vraie torture, au nom d'une morale qui n'est pas la nôtre.
En outre, imaginons que ma mère était effectivement inconsciente et que ce ne sont que des réflexes corporels, ce que je souhaite de tout mon cœur,
la violence de ces moments est atroce pour l'entourage qui voit souffrir un être cher et je ne trouverai jamais de réponse à ces questions qui me hantent.
Depuis quelques années la jurisprudence a reconnu des cas de « préjudices d'angoisse de mort imminente ». Notamment, des familles de victimes d'attentat ou de crash d'avion ont été indemnisées car leurs proches ont vécu un épisode atroce en réalisant qu'ils allaient mourir.
Il me semble que si la personne malade agonisante est consciente, il s'agit de la même situation.
Le cancer est l'une des premières causes de décès en France, et c'est très bien, cela veut dire qu'on est un pays riche qui ne meurt plus d'autre chose.
Mais cela veut aussi dire qu'un très grand nombre d'entre vous qui lisez ce thread allez y passer et peut-être vivre ce moment d'agonie en partie conscients. Moi aussi. Et je veux pouvoir choisir.
Je veux pouvoir choisir de ne pas agoniser dans l'angoisse et la douleur, je veux pouvoir choisir de ne pas rallonger la peine de mes proches quand il n'y a plus rien à faire.
Stopper les soins mais se dédouaner derrière le fait qu'on n'assène pas le coup de grâce est d'une hypocrisie sans nom et d'une cruauté totalement inhumaine.
La loi doit changer, c'est dans l'air du temps et certains de nos voisins européens sont beaucoup plus en avance que nous sur la question. Nous avons tous le droit de mourir dignement.
Pour moi cela implique d'avoir un corps médical qui puisse exercer convenablement et pratiquer un vrai accompagnement dans les pires étapes de l'existence, ainsi que de choisir notre fin une fois que les dés sont jetés.
Si peut-être vous vous retrouver dans mes paroles, je vous invite à partager ce message pour essayer de lui donner de la visibilité (j'aurais au moins essayé).
Ma mère était très militante, elle travaillait dans le social et était bénévole dans des associations comme la ligue des droits de l'homme. Elle aurait été contente de savoir qu'elle a mené un dernier combat.
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