Un #thread sur la question du Sahel, Barkhane, le G5Sahel et la guerre en Afrique, d’une perspective un peu particulière. Depuis 2011, j’ai l’honneur d’enseigner la stratégie militaire à l’ESIG (Ecole Supérieure Internationale de Guerre), à Yaoundé.
L’ESIG est 1 ENVR (Ecole Nationale à Vocation Régionale). Chaque année, une promo d’une soixantaine d’officiers d’une grosse vingtaine de pays africains (pas uniquement francophones d’ailleurs) reçoivent un enseignement de niveau et en partenariat avec l’Ecole de Guerre de Paris.
Bref, j’ai vu Harmattan, Serval, Barkhane, Sangaris… depuis une école en Afrique, avec des gars aussi motivés qu’expérimentés et des cadres, Camerounais comme Français, dévoués et se posant les ? qu’on se pose tous sans tabous, tout comme les militaires savent l’être en privé.
Questions qui ont récemment fait l’objet d’un article de @NiagaleBagayoko. Je vais me permettre de donner un avis de stratégiste. Sur le fond des conceptions nationales, la remarque est effectivement récurrente chez les stagiaires et les cadres.
lemonde.fr/afrique/articl…
lemonde.fr/afrique/articl…
@NiagaleBagayoko D’où l’emphase dans les cours sur les conflits & l’histoire mil. africaine. Des obstacles évidemment: la littérature n’est pas volumineuse et beaucoup de cultures sont orales. Sans compter que la priorité est à la lutte contre les jihadistes. La situation n’est certes pas idéale.
@NiagaleBagayoko Il faut croître et essaimer. Des choses se font. L’ESIG est aussi ouverte à pas mal d’étudiants qui travaillent notamment sur les cultures strat. africaines. Une pensée strat. africaine, de ce point de vue, n’émergera pas, tout comme il n’existe pas de pensée strat. européenne.
@NiagaleBagayoko Les Etats, leurs histoires, même leurs armées sont trop différents. Et forger une pensée stratégique prend du temps. Il n’y en a pas. Par ailleurs, l’auteure me parait se tromper sur la lutte elle-même. De mon point de vue, le problème n’est pas stratégique, mais bien opératif.
@NiagaleBagayoko Un certain nombre d’armées africaines sont parmi les seules au monde à inscrire le développement, au sens large, dans leurs missions premières avec la défense nationale stricto sensu. Le catch 22 du « le développement ou la force » ne tient conceptuellement donc pas.
@NiagaleBagayoko Bref, la stratégie est là: pas de paix sans développement, pas de développement sans paix, il faut donc lutter contre les djihadistes. Le problème est donc opératif: comment faire? L’opératif est le "lieu conceptuel" de la mise en synergie des différentes lignes d’opérations.
@NiagaleBagayoko Economiques, culturelles, de bien-être, toutes les LO militaires (actions conventionnelles, forces spéciales, formation, KLE & influence…). C’est l’opératif qui permet aussi de donner un sens strat. aux actions tac. C’est le grand convertisseur d’effets militaires en politique.
@NiagaleBagayoko La tactique est évidemment nécessaire : l’opératif "ordonne", dans tous les sens du terme, mais c’est la tactique qui agit. Et c’est ce qui est en cours avec le G5Sahel... et qui prend également du temps. Est-ce une façon de faire qui serait occidentale ?
@NiagaleBagayoko C’est surtout la façon la + rationnelle. Quelles seraient les alternatives? D’1 part, certains pays composent beaucoup (leurs voisins pourraient dire "trop") avec les djihadistes qui n’ont pu être retournés. Et nourrir le crocodile n’est pas toujours sociopolitiquement possible…
@NiagaleBagayoko D’autre part, l’alternative aux (et non à la) contre-insurrections (et notamment Galula, cité par l’auteure), est 1 approche ennemi-centrique, au risque de la violence brute, avec 1 décohésion opérative. De quoi faire de l’Etat 1 ennemi des populations et ouvrir la voie à pire.
@NiagaleBagayoko Que faire? Le problème ne me parait pas être la France mais le manque de réflexion non sur la stratégie mais sur l’opérationnalisation. Ces officiers brevetés qui parlent le même langage opérationnel de la MGPO et sont devenus des cadors de l’opératif, où sont-ils affectés?
@NiagaleBagayoko Les idées innovantes, peuvent-elles émerger en interne sans casser la carrière de leurs auteurs ? Sont-elles récompensées ? Quels sont les facteurs de blocage dans les armées ? Etc. La France, ce n'est là aussi que mon avis perso, ne peut pas grand chose sur ces sujets...
@NiagaleBagayoko C’est du très concret et du pas très stratégiquement glamour. Beaucoup d’armées y compris non-africaines y font face. Mais sans réponses à ces questions, aucune stratégie, y compris la plus brillante, ne pourra compenser. Fin du thread, bonne semaine à toutes et à tous !
