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Connaissez-vous l'île artificielle de Dejima ?

Un minuscule territoire à l'histoire incroyable qui, pendant plus de deux siècles, était la seule et unique porte d'entrée commerciale des Européens au Japon.
🇳🇱▶️⛵▶️🇯🇵

BON OK JE VOUS LA RACONTE

⬇️⬇️
Commençons par le commencement. Au XVIe, le Japon n'est pas encore le pays complètement fermé qu'il va bientôt devenir pour deux siècles : certains Japonais ont le droit de voyager à l'étranger, le commerce avec les Portugais et les Hollandais est autorisé, quoique très encadré
Les choses vont un peu se tendre sur la question religieuse : les Portugais, arrivés au Japon dans les années 1540, ont apporté dans leurs valises un truc assez new pour les Japonais : le christianisme
Ils commencent alors à convertir à tour de bras, ce qui fait que dans les décennies qui suivent, des milliers de Japonais deviennent catholiques. Cela commence à poser problème aux autorités et en 1587, on décide l'expulsion des missionnaires portugais
🇵🇹👉🌊
A partir de 1612, le christianisme est interdit par le Shôgun (aka le chef du Japon), qui redoute que cette nouvelle religion supplante sa propre autorité. C'est le début d'une vaste campagne de persécution et d'un repli progressif du pays sur lui-même
C'est dans ce contexte tendu qu'en 1634, afin de fournir aux Portugais un lieu où accoster et pratiquer le commerce tout en étant étroitement surveillés, le shôgun Tokugawa Iemitsu ordonne la construction d'une île artificielle dans la baie de Nagasaki : Dejima
Regardez comme elle est mignonne avec sa forme d'éventail
Quelques années plus tard, la rebellion de Shimbara voit environ 40 000 chrétiens se révolter contre l'autorité du Shôgun. Ecrasée dans le sang, elle durcit le sentiment anti-portugais : ils sont chassés, voire tués, et leurs bateaux incendiés 🔥⛵😱
C'est le début d'une période d'isolement total pour le Japon. Seuls les Hollandais, qui avaient (en bon protestants) donné un coup de main pour mater cette rebellion catholique sont autorisés à commercer, et remplacent les Portugais sur l'île de Dejima
Pendant plus de deux siècles, notre île artificielle va donc devenir la seule et unique interface entre le Japon et les Européens, en la personne des Hollandais
Dejima, construite dans le port de Nagasaki, a des proportions infimes : 120 mètres de long sur 75 mètres de large. Pour vous donner une idée, c'est plus ou moins la taille du parvis de Notre-Dame !
Un peu comme le Grand-Bé à Saint-Malo (dédicace à mes malouins sûrs), l'île n'en est plus une à marée basse, et n'est séparée du continent que par un fossé. Cette proximité, à la fois spatiale et géologique donc, ne change rien : l'île est complètement isolée
Dejima est entièrement fermée par des barrières de bois, et n'est ouverte qu'à deux endroits : une porte donnant sur la mer, l'autre sur le pont qui la relie au continent et qui est gardé continuellement par les Japonais. Ces deux portes sont fermées durant la nuit.
Lorsqu'un bateau hollandais arrive dans le port de Nagasaki, il est escorté par plusieurs navires japonais jusqu'à Dejima. Avant d'accoster, toutes les Bibles et objets religieux, ainsi que les voiles des navires, doivent être scellés dans une caisse et remis aux Japonais
Puis l'ensemble de l'équipage est fouillé, et le bateau inspecté. Cette opération est réalisée tous les matins et tous les soirs par les autorités japonaises ! Des flics japonais restent à bord du navire pendant tout son séjour (sauf la nuit) 👮🇯🇵⛵🇯🇵👮
L'ensemble de l'équipage ne débarque pas sur Dejima, bien trop petite. Seuls les commerçants, les officiers et les traducteurs y descendent, sous une surveillance constante (3 postes de gardes situés aux extrémités de l'île, des patrouilles nuit et jour)
A ce stade, on a compris que les Japonais sont *légèrement* anxieux à l'idée de laisser une portion de leur territoire, aussi infime soit-elle, accessible aux étrangers.

Seuls deux navires par an sont autorisés !
Les Hollandais peuvent demander une autorisation pour visiter Nagasaki, mais la promenade ne peut durer que quelques heures et se fait sous la surveillance d'une énorme escorte (entre 25 et 30 personnes pour un visiteur !)
Outre les commerçants, on compte environ 150 interprètes résidant à Dejima. Tout ce beau monde est rémunéré par la VOC, la Compagnie des Indes Orientales hollandaise, qui chapeaute tout le système (c'est son logo sur ce canon qui se trouve à Dejima)
L'île est dirigée par un représentant officiel de la VOC, qui porte le titre d'Opperhoofd, littéralement « tête suprême » (cf. ce portrait d'Hendrick Doeff, Opperhoofd de 1803 à 1817)
Le commerce consiste surtout en un échange de textiles, d'épices et de sucre venus de Hollande et de ses colonies, contre du cuivre et de l'argent japonais. Les Hollandais apportent aussi de nombreuses connaissances scientifiques sous la forme de livre et d'instruments
Cet apport culturel et scientifique n'est pas le fait de la VOC, mais des marchands eux-mêmes, et porte un nom en japonais : Rangaku (« Études hollandaises »).

Lire à ce sujet la passionnante page Wiki : fr.wikipedia.org/wiki/Rangaku
En 1853, les Américains font une démonstration de force en baie de Tokyo et rompent la période d'isolement du Japon en l'obligeant à s'ouvrir au commerce, sous la menace des canons ! C'est l'épisode des « navires noirs »
Le pays s'ouvre peu à peu, et les activités cessent progressivement à Dejima, jusqu'à la fermeture de la fabrique de la VOC en 1860, qui marque la fin du rôle de comptoir commercial de l'île, ici prise en photo dans les années 1870
Ce qui est intéressant, c'est qu'aujourd'hui, Dejima n'est plus une île ! Les territoires gagnés sur la mer à Nagasaki en ont fait une partie intégrante de la ville. Depuis les années 1920, elle est protégée en raison de son patrimoine historique
On peut se faire une bonne idée de ce à quoi elle ressemblait à l'époque grâce à ces deux maquettes, l'une à Nagasaki, l'autre au musée national d'ethnologie de Leyde (Pays-Bas), et à la reconstitution fidèle des maisons sur place
Cette histoire géographique et commerciale m'a été soufflée par @jld68000, la plupart des illustrations viennent de @GallicaBnF, et la trame vient de ces deux articles cairn.info/revue-internat… et soleilrouge.org/dejima-l-ile-h…
Comme d'habitude, les pages Wikipedia sont très bien fichues et renseignées et m'ont été très utiles, surtout pour l'histoire du Japon dans laquelle je suis novice ! en.wikipedia.org/wiki/Dejima // fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9be… // fr.wikipedia.org/wiki/Sakoku
Et pour bosser un peu son histoire du Japon, je vous recommande chaudement cette vidéo complètement délirante mais très renseignée (en anglais, 9 minutes de bonheur) #howAboutSunriseLand
Ca vous a plu ?
Vous en demandez encore ?
Alors retrouvez ici toutes les histoires cartographiques que je raconte sur le réseau social twitter point com ⬇️⬇️ 
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