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Vionnet Joseph @VionnetJoseph
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[Thread, suite] : Nous avions quitté Pétain au moment de sa nomination comme Commandant en chef des armées françaises, c’est-à-dire le moment où il quitte le commandement d’un secteur spécifique du front pour des responsabilités d’un ordre bien « supérieur ».
Il va s’atteler à une remise en ordre générale de l’armée. D’abord permettre que les expérience du front remontent plus rapidement au GQG : la « section instruction » est créée, et permettra aux états-majors d’être plus au fait de la réalité du terrain et des engins nouveaux.
Pétain est bien décidé à faire pleinement épouser la modernité à l’armée française, et à lui permettre de répondre aux changements rapides exigés par la guerre industrielle. Il faut assimiler rapidement les évolutions.
Il va s’illustrer aussi dans sa gestion de la grave «crise des effectifs» que connaît l’armée française en 1917. Une réponse sera trouvée dans la réorganisation de la structure des unités en généralisant le système divisionnaire dit « ternaire » (3 régiments). Décentralisation.
Les fameuses "mutineries" de 1917 (qui ne demandent pas la fin des combats, rappelons le) seront surtout calmées par des choix opérationnels nouveaux sur lesquels nous allons revenir. Mais Pétain su aussi se préoccuper des conditions de vie des soldats, cet aspect est plus connu
Pétain accorde une importance fondamentale aux armes nouvelles et à la modernisation des plus « vieilles » (artillerie notamment). Il est dès 1915 ! le principal soutien des projets de chars critiqués du colonel Estienne, « père des chars » français.
Il appuie le développement de l’artillerie lourde à grande portée et de la réserve général d’artillerie (RGA), laquelle permet un basculement rapide de l’appui-feu d’un secteur du front à un autre, ce qui est fondamental. Le général Buat accélère la motorisation de l’artillerie
Pétain se fait une certaine idée de l’arme aérienne: obtenir la supériorité dans les airs par la masse, explorer en profondeur le champ de bataille et attaquer les points sensibles du dispositif ennemi. Le colonel Duval fera de l’aviation française un modèle de modernité en 1918
Au niveau logistique, Pétain mise sur une motorisation généralisée des formations de transport. Il crée le service de transport automobile (STA), dont la direction est confiée au commandant Doumenc. Le taux de motorisation de l'armée sera alors plus élevé en 1918 qu'en 1939 !
Retour aux opérations : Pétain fut-il attentiste en 1917? On lui reproche en effet sa temporisation et sa conception prudente dans l’offensive. Mais pourquoi ce choix? Le front russe s’effondre et pour la 1ère fois donc l’armée allemande va être supérieure en nombre à l’Ouest.
Il faut donc « tenir » selon Pétain puisque le temps joue en faveur des Alliés dont les effectifs augmentent (Américains). Il faut user au minimum les troupes par une attitude défensive et des offensives dites « à objectifs limités ».
Pour Pétain il faut user l'ennemi en souffrant soi-même du minimum de pertes, c'est à dire multiplier les assauts limités, fortement appuyés par l'artillerie. Ce n'est qu'une fois "l'édifice" impossible à rebâtir qu'il faut passer à la poursuite.
Les « offensives à objectifs limités » : Flandres le 31 juillet 1917, Verdun en août et La Malmaison en octobre; c’est de ces offensives que vient la réputation de Pétain comme soucieux de limiter les pertes : il met fin à l’offensive lorsque les objectifs (limités) sont atteints
Concrètement? Concentration sur 1 zone du front bien plus réduite: 10 à 17km où l’on concentre les moyens (hommes, artillerie… et chars !). Longue préparation d’artillerie (6 jours), 2 à 3 jours de combats, gains de 5km environ. Pertes allemandes 50.000, pertes françaises 12.000
Résultat : les pertes du 2 semestre 1917 sont les plus faibles de toute la guerre avec 38 000 morts ou disparus. Surtout, le moral remonte, la confiance en la victoire est retrouvée.
Toutefois, ces offensives sont réalisables sur de petits secteurs du front, les moyens énormes engagés ne peuvent être élargis à l’ensemble du front. Le GQG va pourtant adopter cette conception avec son instruction du 31 octobre 1917, faisant le choix de la prudence.
Des critiques s’élèvent contre ces conceptions trop timorées qui réduisent le fantassin au rôle d’occuper le terrain matraqué préalablement par l’artillerie, et qui abandonnent tout espoir d’une victoire rapide.
La guerre de mouvement semble annoncer son retour avec un matériel moderne qui abonde et aux innovations tactiques allemandes développées sur le front russe (à Riga notamment).
Conscient de cela, Pétain et le GQG vont faire le choix de la « défense en profondeur » : organiser le front afin que les assauts ennemis aillent en perdant de l’intensité au fur et à mesure qu’ils progressent, et se servir justement de cette progression.
La ligne de résistance principale n’est pas la première que rencontrera l’ennemi, mais est située plus en arrière afin que l’ennemi s’use d’abord sur des positions avancées. L’effet de l’artillerie ennemie est réduit car seules les 1ères positions "dégarnies sont touchées.
Pétain et le GQG misent ensuite sur l’écrasante supériorité qu’ils possèdent en matière de motorisation : 88 000 véhicules en 1918 contre à peine 40 000 pour l’armée allemande !
Un réseau routier aménagé pour la guerre assure une logistique moderne et permet d’acheminer rapidement hommes et matériel d’un secteur du front à un autre. Les Allemands ne pourront suivre la cadence.
Pétain va refuser comme le font les Allemands de créer « deux » armées : une d’élite (Stosstruppen) surdotée en matériel moderne et destinée à percer les lignes ennemies dans la profondeur, et une armée « pauvre ». Il n’y aura pas de « gladiateurs » français.
Ce refus est motivé par 1 choix opérationnel: des troupes «moyennes» se succédant sur le front plutôt que des unités d’élite risquant de n’être qu’à coup unique et de s’épuiser ensuite. Le choix de la durée est fait, alors que l’Allemagne n’a pas le choix et doit vaincre vite
[Thread - dernière partie] Les premiers combats de la "nouvelle guerre de mouvement" (Michel Goya) surprennent l'armée française : l'infanterie allemande, forte de l'expérience du front de l'Est, s'est spécialisée dans l'infiltration et les "coups" tactiques. Elle a le dessus.
Pétain et le GQG doivent s'adapter à cette nouvelle configuration. L'armée française doit parvenir à "neutraliser" l'effet de surprise et de choc provoqué par les assauts des Stosstruppen, La réponse sera la mise en place de la "défense en profondeur", grande idée de Pétain
De quoi s'agit-il ? Cela consiste en qq sorte à faire tomber l'attaque ennemie dans le vide: la première ligne de défense ne sera plus la principale ligne de résistance, mais celle-ci est déplacée plus en arrière du front.
La première position que rencontrera l'ennemi est donc plus dégarnie mais ponctuée de nids de mitrailleuses. Elle doit dissocier les échelons d'attaque ennemis, affaiblir ses capacités à mesure qu'ils progressent dans le dispositif français.
Autrement dit, la progression de l'ennemi est prévue, "souhaitée", aménagée. C'est la 2nde position de défense qui est le véritable point de résistance, elle doit accueillir des unités d'assaut ennemies ayant déjà subies l'attrition des positions plus avancées.
L'hiver 1917-1918 voit Foch acquérir une influence grandissante. Il est alors chef d'état-major général, partisan inconditionnel de l'offensive (ce qui le rapproche de Clemenceau et l'éloigne de Pétain). Les idées de Foch et Pétain vont s'opposer bientôt :
Conseil supérieur de la guerre interallié du 31/01/1918. Alors que Pétain et Haig restent partisans de la défensive compte tenu du rapport de force numérique, Foch défend un plan offensif à l'Ouest, les délégués britanniques des offensives sur les théâtres périphériques (Orient)
Un "compromis" est trouvé entre offensive et intérêts anglais : offensive contre les Turcs en Orient mais l'ensemble des nouvelles ressources alliées (dont les troupes américaines qui arrivent peu à peu) doit être affecté au front français.
Mars 1918 : début des grandes "offensives du printemps" allemandes, dernière cartouche de Ludendorff pour espérer l'emporter. Les fronts des armées française et britannique ne sont pas bien "soudés", une brèche est ouverte, qui devient vite une poche en direction d'Amiens
Nommé Commandant en chef des armées alliées à partir du 14 avril 1918, Foch devient le véritable chef d'orchestre des armées alliées, et Pétain lui est subordonné donc, ne pouvant faire appel au gouvernement même s'il estime que les intérêts nationaux sont mis en jeu.
Foch peut imposer ses conceptions : il va à l'encontre de la directive n°4 de Pétain (qui acceptait de céder du terrain pour essouffler les assauts allemands) en exigeant de ne plus céder un pouce de terrain.
Et tandis que Foch veut reprendre au plus tôt les offensives afin de ne pas laisser l'initiative à Ludendorff, Pétain demeure fidèle aux attaques à portée limitée économes en hommes. Les nouvelles offensives allemandes, sur l'Aisne cette fois, tranchent pour eux, Foch est surpris
Pétain est très alerte du taux d'usure de son infanterie, ce qui explique qu'il renâcle à dégarnir le front des armées françaises pour renforcer celui des Anglais plus au Nord. Son image de "défaitiste" vient également sûrement de là, mais il s'agit plus d'une attitude expectante
S'il "attend les chars et les Américains", ce n'est pas parce qu'il ne croit plus dans les troupes françaises, mais parce qu'il les sait usées jusqu'à la moelle et opposées à une armée allemande renforcée numériquement par l'extinction du front russe.
Le matériel blindé et le renfort américain permettront de reprendre l'offensive plus tard selon lui. Il veut d'ailleurs que les soldats US soient amalgamés à l'armée Fr, alors que Foch concède à Pershing que les USA disposent d'une armée autonome, ce qui retarde les choses.
L'armée française frôle le désastre fin mai 1918 dans le secteur de l'Aisne : avec semble-t-il l'accord tacite de Foch, Duchêne (6e armée) n'avait pas organisé sa défense selon la directive Pétain. Les Allemands percent dangereusement. Pétain déploie des réserves
Il craint l'ébranlement général en envisage alors un mouvement de retraite généralisé, conseillant même à Clemenceau de faire quitter Paris au gouvernement. Pétain manque ici d'une vue d'ensemble : les Allemands sont très vulnérables sur les flancs des poches qu'ils créent !
Juin 1918 : les Allemands ont échoué à franchir la Meuse. Pétain persiste à vouloir raccourcir le front en en abandonnant certains secteurs. Refus de Foch.
Juillet 1918 : en prévision d'une offensive allemande en Champagne, nouvelle proposition de Pétain à Foch : une "défensive-offensive": 1/briser l'élan ennemi par la défense en profondeur. 2/contre-attaquer sur un des flancs de la poche ennemie constituée par sa progression
Foch approuve, et c'est Fayolle qui va être chargé de la coordination de cette manoeuvre. Le 18 juillet, Mangin déclenche ladite contre-attaque depuis la forêt de Villers-Cotterrêts avec sa 10e Armée. C'est le début de la fin pour l'armée allemande. Rien n'arrêtera l'engrenage
Que retenir du Pétain de 1914-1918 : un général très au fait de la réalité de la guerre industrielle moderne ; un organisateur efficace du haut-commandement ; et un homme soucieux de l'usure des hommes ce qui l'amène à des choix défensifs qui auraient pu être perdants.
À la longue ses vues peuvent être considérées comme les "bonnes" : la supériorité numérique allait être du côté allié rapidement, et celle technologique l'était déjà largement. Freiner les offensives pour mieux les conduire plus tard.
Mais les assauts allemands du printemps 1918 exigeaient une réaction moins prudente : étant donné l'usure française et britannique, céder du terrain aux Allemands pour se replier vers Paris aurait pu être un choix terrible conduisant à la défaite, d'abord morale.
De plus, à partir de la reprise de l'initiative par les Alliés et Foch, il était dans l'intérêt de la France d'avancer le + vite possible vers l'Allemagne, car celle-ci, par son commandement militaire d'abord, voulait négocier la paix avec Wilson pour éviter le pire
Trop temporiser alors que l'Allemagne et son armée étaient à bout de souffle c'était s'empêcher de figurer véritablement comme LE vainqueur.
FIN.
(Un prochain thread s'imposera pour revenir sur les plans alliés prévus pour l'entrée en Allemagne. Un pan méconnu de notre Histoire, alors que jamais depuis la Grande Armée de telles opérations sur le continent européen auraient pu être menées par la France).
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