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Ter-Ter et Liberté @TerTerEtLiberte
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Tentative de critique anti-civilisationnelle du mouvement des "gilets jaunes". Voici un thread confus (si ce n'est confusionniste), à faible teneur théorique (j'ai lu trop peu de bouquins pour faire semblant), pour essayer d'expliciter ma perception de la période et du mouvement.
Cette nuit j'arrivais pas à dormir, je trainais encore à 2h30 du mat comme un mongol sur les hachtag GiletsJaunes pour voir qui en parlait, si c'était plutôt des comptes situés à l'extrême-droite ou l'extrême-gauche. Et comme à chaque fois c'était les deux, mais pas seulement.
Si des scientifiques essayaient de combiner le complitisme le plus crade, le nationalisme le plus brut et l'enfer d'une assemblée où chacun essaierait de crier le plus fort pour se faire entendre des autres, je crois que ça donnerait un résultat similaire à ce que j'ai lu.
Des comptes "tantôt FI tantôt FN", des militants FI qui RT de l'extrême-droite, et vice-versa. Ca va même au-delà de la convergence "rouge-brun" qu'on dénonce depuis des lustres. Il n'y a pas un seul courant politique qui ne soit pas à la fois attiré et répulsé par le mouvement.
J'en veux pour preuve la CGT (qui a tenu des positions antifascistes jusqu'à récemment) ou le comité Adama qui appelle à manifester samedi, alors que sur les sites d'extrême-droite ça gueule à la "récupération par les banlieues pour obtenir de l'argent pour les cités".
J'suis vraiment pas fan de la traduction politique des écrits de Laclau et Mouffle mais je crois que le mouvement des gilet jaunes correspond assez bien à ce qu'ils appellent des "signifiants vides".
C'est un mouvement plus ou moins spontanné (dont beaucoup d'initiateurs sont plutôt à l'extrême-droite du spectre politique actuel, soyons honnêtes), ce qui permet à tout le monde de projeter ses propres désirs dessus.
Comme aucune structure connue ne l'a impulsé, ou en tous cas n'a été très visible, il n'est pas suffisamment marqué politiquement pour qu'un camp affirme définitivement "c'est ma came" ou "c'est pas ma came".
C'est pour ça qu'on trouve à la fois les fafs déter de chez Ouest Casual, des totos insurrectionnalistes comme Nantes Révoltée, et tous les courants politiques sensés se trouver "entre".
Et comme chacun.e investit ses propres espoirs et ses propres craintes dans ce signifiant vide, chacun.e tente de le récupérer et accuse les autres de le récupérer. Et tout le monde a tort en même temps, puisque chacun regarde un concept creux en disant "voici la vérité".
C'est ce qui explique que tout le monde s'accroche à ce que le mouvement colle à son imaginaire. Voilà comment Le Média peut arriver à dire qu'il n'y avait pas d'extrême droite sur les Champs samedi, alors qu'on voyait des drapeaux à fleur de lys.
Et qu'à l'extrême droite on dénonce "les casseurs d'ultra gauche et les banlieusards" alors qu'un visionnage rapide des images de Taranis montre bien que les groupes d'ultra-droite ont affronté les forces de l'ordre, notamment le matin près de la place de d'Etoile.
Un truc qui m'avait particulièrement marqué à la lecture de "contre les élections" de Van Reybrouk c'était sa description de la cocotte minute démocratique. Si on regarde bien, la frustration est le sentiment politique dominant de l'époque.
Les "progrès techniques" accomplis dans le secteur de l'information a permis d'avoir une quantité phénoménale de personnes informées et politisées via les médias et les réseaux sociaux en permanence.
Or la démocratie représentative est le spectacle même de la dépossession politique, avec son lot de petits chefs, de parvenus et de corruption, tout en agitant en permanence le mythe de la "participation".
On en est au point au il n'y a même plus une personne sur deux (et encore, parmi les inscrits) qui vote pour désigner celleux charger de rédiger la loi. Ce WE, lors de la législative partielle à Evry, 82% d'abstention chez les incrits, en fait à peine un.e habitant.e sur 10).
Le mythe républicain engendre bien plus de colère que d'adhésion dorénavant. Et la France n'est pas du tout un cas particulier. Van Reybrouk montre bien que ce même mouvement affecte la totalité des "démocraties représentatives".
Dans l'article "C'est la catastrophe" paru sur Rebellyon on lit que "le capitalisme dissocie les individus en leur sein. Une part d’eux reste ancrée dans la réalité du monde, ce sont les sensations éprouvées concrètement par les corps et le fourmillement des affects,
mais une autre part est connectée en permanence aux tristes réalités de l’époque ainsi par exemple du réseau d’informations et des communication qui ne cesse de s’étendre et de voir s’accélérer les flux qui le constitue.
En deux mots, « Les pieds sur terre et la tête dans le cyberespace, telle est notre condition." Et non seulement nous subissons de plein fouet cette frustration démocratique, mais toutes les autres frustrations qu’entraîne notre profonde aliénation.
Aliénation par notre condition "civilisée" (donc domestiquée par l'Economie), aliéniation dans notre vie quotidienne, dans notre taff pour celleur qui bossent et dans nos relations, aliénation dûe à notre conditionnement social, racial, de genre, sexuel, etc.
Les individus réunis sur les Champs samedi, c'est cet ensemble totalement informe de personnes dont le niveau de frustration et d'aliénation est tel que le dangers de l'affrontement voire la peur de la mort sont dépassées par le besoin de relâcher la pression.
C'est pas pour rien que Lundi Matin et la préfecture de police disent tous deux que l'émeute de samedi c'est du jamais-vu. Pour pas mal de personne mais c'est clair qu'il y a eu un cap incroyable franchi par énormément de personnes dans le rapport à la violence et à la police.
Personnellement il m'avait fallu plusieurs mois d'affrontements avec les flics en 2016 pour en arriver là. Et là les "révolutionnaires" étaient "dépassés par l'émeute". Avant c'est la lacrymos qui permettaient de dissocier "militants radicaux" et "pacifistes",
puis est venu la zone mixte du cortège de tête qui tolère à minima, et célèbre souvent l'affrontement avec l'Etat. Puis dans l'augmentation progressive de la violence d'Etat sont venus les grenades de désencerclement. Pareil, dans le but d'isoler les radicaux.
Et pareil, la tolérance à la violence a augmenté et il a fallu monter dans la violence des dispositifs en sortant les GLI (notamment sur les ZAD, où les affrontements étaient globalement plus dur qu'en milieu urbain) qui sont clairement plus très loin de l'arme de guerre.
Samedi au moins une cinquantaine de GLI-F4 ont été balancées par les forces de l'ordre, et pourtant des daronnes de cinquante piges, qui faisaient leur première manif, revenaient quand même.
C'est parce que maintenant, les gens préfèrent prendre le risque de caner que de continuer avec ce niveau de frustration/aliénation. Et je sais personnellement le pouvoir que donne l'émeute aux individus. J'ai ressenti ça depuis la participation aux cortèges de tête depuis 2016.
Une jouissance de libération dans l'émeute et bcp de confiance en soi. Je pense que beaucoup ressentent ça. D'où certains penchants, et soyons honnête chez moi le premier, vers le tourisme de l'émeute et la culture du riot porn, qui sont des outils de catharsis assez efficaces.
C'est tellement jouissif de ne plus s'autodétruire avec des substances psychotropes et d'aller chercher l'adrénaline. Et en faisant ça, on reconnecte aussi ce qu'on vit avec notre pensée, on libère la frustration et on limite l'aliénation temporairement.
On pourrait parler d'ensauvagement, en tant que rapprochement des désirs et des actes j'entends. Au passage, ça explique en partie pourquoi il y a des stratégies et des modes d'actions aussi similaires entre UD et UG.
Confronté à la solitude de la minorité et à la main répressive de l'Etat (police et justice), on est condamné à libérer notre frustration cagoule sur la tête et pavé à la main.
Pour revenir au mouvement des gilets jaunes, en suivant plus attentivement les réseaux sociaux et la désignation des porte-paroles (même s'ils n'ont de fait aucune légitimité), il a beaucoup plus de chance de vriller vers l'extrême-droite que vers l'extrême gauche,
mais le plus probable reste quand même qu'il s'essouffle car tous les mouvements sont faits pour mourir. Il peut servir de plateforme d'organisation future pour l'extrême droite, dans ce cas la France pourrait suivre (assez logiquement)
le mouvement de nombreux Etat gérés par l'ED (Brésil, US, Russie, Italie, Autriche, Hongrie, Philippine, et on pourrait en rajouter tous les Etats qui, à peu de choses près, font les mêmes choses, même si c'est moins revendiqué comme idéologie par la classe dominante au pouvoir).
Après tous ces constats, qui enfoncent pas mal de portes ouvertes, je n'ai pas beaucoup de solutions à proposer pour celleux qui reconnaissent un semblant de justesse dans ces lignes.
Cette civilisation arrive en bout de cycle, les conditions matérielles d'existence pour la plupart des espèces se dégradent, comme partout là où sont apparus sédentarisme, domestication des animaux, agriculture irriguée,
écriture partielle ou totale, et par conséquent l'autorité, les religions organisées, les Etats et plus récemment le capitalisme industriel. Comme le dit le texte "C'est la catastrophe", celle-ci est déjà en cours dans le profond détachement "entre les mondes,
de l’absence de liaisons entre des humains et leur territoires, entre nous et notre nourriture, nous et les forêts dans lesquelles on se promène, nous et les lieux qu’on habite, nous et les animaux qu’on croise avec ou sans affection,
nous et tous ces autres humains que nous connaîtrons sans jamais vraiment les rencontrer. Et puis, entre nous-même".
Pour celleux qui se reconnaissent dans la critique anticiv, je pense que toutes les occasions sont bonnes à prendre pour se venger de celle-ci et faire un maximum de dégâts avant l'emballement des phénomènes climatiques, bien qu'il soit trop tard pour sauver nombre d'espèces.
Cela ne me semble pas plus délirant que l'habitude d'aller dans les manifs réformistes syndicales pour péter des vitrines de banque. De toutes façons, des millions d'années seront nécessaires à la Terre pour se retrouver le même niveau de complexité du vivant.
Pour reprendre un peu l'image d'Isaac Asimov dans Fondation, la seule latitude sur laquelle nous avons encore prise c'est le temps qu'il sera nécessaire pour revenir à un tel niveau. Le vivant s'est déjà remis de 5 extinction de masse, dont celle du Permien Trias.
Chaleur extrême pendant 5 millions d'années, température de 50 à 60 °C sur les continents et proche de 40 °C à la surface des océans. 95% des espèces marines et 70% des espèces continentales décimées.
Et pourtant nous voici. Frustré.e.s, aliéné.e.s mais vivant.e.s. Alors vivons. Et quitte à vivre, soyons sauvages.
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