Thread by @Michel_Goya

1-Samedi, c’est mili. Petit thread de souvenir de campagne.
Nous sommes en octobre 1983, je rentre au Groupement de qualification des sous-officiers (GQSO) de l’Ecole de l’infanterie, alors the place to be quand on avait échoué au concours d’entrée à Saint-Cyr.

2-Là-bas depuis qu’ils avaient découvert Darwin, plus besoin de concours. Il suffisait de presser et ceux qui résistaient, voire survivaient (un gars de la promo précédente était mort à l'entrainement), soit un sur trois environ, seraient aptes à devenir chefs de groupe de combat

3-Ce fut effectivement darwinien. Parmi les hors-d’œuvre, nous eûmes la joie de partir pendant plusieurs semaines dans un "camp de toile". Montres confisquées et cigarettes interdites. Distribution de vieux treillis modèle 47 avec mission de coudre les boutons avant notre départ.

4-Séance de tir. A l’issue, la section est rassemblée. L’adjudant-chef s’approche de l’homme de base, le plus grand, et tire sur ses boutons. 8 sautent. C’était pas de la haute couture. Le tarif c’était deux baffes par bouton. Lui en a pris 16, moi je n’en ai pris que 4.

5-La journée a continué sur le même ton primesautier en activités diverses jusqu’au soir où après avoir mangé dans notre bassine rouge à tout faire (repas, bain d’eau froide du matin), nous nous préparons à marcher. En attendant les cadres, nous entamons un chant.

6-Le chant terminé, nous attendons crier le nom de celui qui l'a lancé. Mon ami Charles se précipite et moi à sa suite car nous sommes binomés et donc, selon les ordres, inséparables. Nous nous présentons sous la tente des cadres en hurlant, comme il se doit.

7-« C’est toi qui a lancé ce chant ? Oui, mon adjudant-chef ! » « Tu sais que c’est un chant interdit ? Oui, mon adjudant-chef ! » « Toi ! (moi en fait), fous-lui une baffe »
Quart de tour et je lui en colle une.
« Venge-toi ! » Re-quart de tour et c’est lui qui m’en colle une.

8-« Rassemblement pour le départ ».
Nous partons. Après de multiples péripéties dans la nuit dont une traversée de marécage plutôt épique, nous revenons au camp à l'aube et bien cassés. Nous n'avons aucune notion du temps, mais nous avons une heure pour nettoyer les armes.

9-Dans la foulée, nous allons (lire « courons ») tirer au fusil-mitrailleur. Pierre tire, je tiens le bipied et alimente l’arme. Il tire mal, l’adjudant-chef le voit et le piétine. Un poil ému (c’était lui qui s’en était pris 16), Pierre se lève avec le F-M. Je le ceinture.

10-Nous nous en tirons sans coups. Nous rentrons en « marche commando ». A ce stade, lorsque nous arrivons enfin au complet, c’est un autre de mes camarades qui tente d’utiliser sa baïonnette contre un cadre. Nous parvenons là encore à le maîtriser sans que cela se voit trop.

11-Repas bassine, puis à nouveau marche de nuit. A ce stade, vous commencez forcément à avoir des hallucinations et à dormir en marchant, c’est très déplaisant. Au petit matin après le nettoyage d’armes, nous avons le droit de dormir à même le sol pendant quelques heures. Royal.

12-Nous repartons pour du combat puis du tir, au lance-roquettes cette fois. Au moment de tirer, horreur ! Je m’aperçois que j’ai perdu mes bouchons antibruits. Je tente un compte rendu, m’en prend une pour ma négligence et reçois l’ordre d’aller tirer quand même.

13-Je ne sais pas si vous avez déjà tiré au Lance-roquettes de 89 mm sans protection auriculaire, c’est très moyen. Je me tape 4 roquettes comme ça avec l’impression d’une droite d’Apollo Creed à chaque fois. Mes oreilles s’en sortent et ne sifflent que quelques heures.

14-Retour au camp en courant. Il fait nuit. Repas bassine et première nuit dans un duvet. Bien sûr, pas dans les tentes 56 qui servent à stocker nos bassines mais dans un cercle parfait autour du mat des couleurs dans les tentes à deux places. Autant dire que cela prend du temps.

15-De toute façon, notre sommeil est interrompu très vite pour aller faire une marche commando pendant une heure avant de revenir dormir, se laver (= se mettre à poil et se jeter le contenu glacé de la bassine sur le corps) et de se rassembler pour la nouvelle journée.

16-Ainsi vont les journées. Autant dire qu’à ce rythme, peu de sommeil, peu de bouffe, 3 ou 4 000 calories de dépense journalière, quelques claques et l’absence de repères, nous fondons. Chacun de nous d’abord et avec nos corps très amaigris et notre saleté, nous faisons peur.

17-Dans le groupe ensuite, puisque de trente au départ, il n’en restait plus que neuf au bout du « camp de toile ». Les autres étaient blessés, malades, dont un présentant quelques troubles psychologiques sérieux, ou avaient simplement résilié leur contrat.

Epilogue 1 : "Les gars, cela fait 2 mois que vous êtes là, vous avez droit à partir ce week-end. En fait, la moitié seulement, l’autre sera punie". J'ai de la chance. Je vais chez ma mère. "Bonjour Maman ! Je vais me reposer" Elle me réveille le lendemain lorsque je dois partir.

Epilogue 2 : tout dernier jour, toute dernière heure. Nous sommes en tenue civile avec nos affaires, prêts à partir définitivement du GQSO. Le chef de section, sort, nous voit et nous dit « Qu’est-ce que vous foutez en civil ? Allez-vous mettre en tenue de sortie ! ».

Le mec nous fait un caméléon au moment du départ ! Avec un copain, nous voyons un camion vide qui roule tranquillement à proximité. Nous y jetons nos sacs, grimpons à bord et nous planquons jusqu’à la sortie. Nous nous sommes évadés de notre école de sous-officier. FIN