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Rédaction #PHR #PQR, thread éditorial. Je préviens : je vais donner franchement mon avis, donc ça risque de froisser un peu. Parce que j'adore la locale, dont le rôle trop souvent négligé est pourtant vital pour notre démocratie en ces temps où l'on se parle de moins en moins.
D'où je parle : blogueur local, partenaire d'un titre de #PHR payant, correspondant local en #PQR payante, journaliste local puis rédacteur en chef d'hebdos locaux gratuits, en Normandie et en Île-de-France. Mais aussi avide lecteur des localiers partout où je vais !
Donc. Est-ce qu'on continue à faire des "papiers de locale" ? Est-ce qu'on continue à servir ce qu'on pense être (et non pas ce que sont à mon avis) les attentes du lectorat actuel, qui se volatilise au rythme des notices nécrologiques ?
Est-ce qu'on continue les papiers pas anglés, pas bossés, pas vérifiés et pas complets ? Est-ce qu'on continue à penser qu'un dossier régional bien travaillé compense les dizaines de pages qui suivent faites complètement à l'arrache ?
Est-ce qu'on continue à se reposer sur les correspondants locaux, ces esclaves ultra-précaires des soirs et week-ends et à qui on dédie ce qu'on ne veut pas faire, tout en s'abstenant de les former (ce qu'interdit d'ailleurs leur statut) ?
Je ne pense pas. Je suis sincèrement convaincu que le lecteur, quel que soit son âge, est prêt à nous suivre, et surtout à se mettre à payer pour des changements éditoriaux ambitieux qui impliquent aussi d'assumer d'énormes impasses.
Je tiens à signaler aux défaitistes, aux grincheux et à ceux qui pensent que les lecteurs sont stupides que j'ai disposé des statistiques dans à peu près tous les supports où je suis passé. Les lecteurs adorent le long, le fouillé, l'exclu et le beau reportage.
Alors on fait quoi, en partant du principe qu'on est à moyens constants (donc qu'on arrête l'hémorragie grâce à ça) ? Je vous propose une petite réflexion purement opérationnelle, exclusivement centrée sur le lecteur, foin de grands principes.
On arrête toute prétention de couverture internationale. On arrête la couverture nationale et les coûteux bureaux parisiens, même mutualisés entre titres. Avis de lecteur : notre expertise est trop limitée pour avoir le moindre intérêt.
Si on veut conserver les deux, on paie l'AFP et on ne met aucune autre ressource (pas de réécriture par ex.). Comme ça on a des papiers de qualité et on conserve une info nationale facilement accessible si jamais on veut garder une veille. Mais même l'abo AFP est superflu AMA.
Même chose pour la culture. Fini les critiques de cinéma, de livres, etc etc. Le temps du lecteur abonné d'un seul journal est bien fini ! On est en 2020 : s'il a un fort intérêt pour ces infos, il lira une publication culturelle gratuite ou payante mais spécialisée.
En fait, on recentre l'intégralité des ressources sur les domaines pour lesquels on peut proposer une expertise, une plus-value, du talent. C'est-à-dire la locale. Ça paraît bête, je sais. Et pourtant... combien de fois ai-je entendu que les octogénaires étaient prioritaires ?
En tant que lecteur local, ce fameux CSP+ trentenaire que vous désespérez de voir payer des abonnements et vendre à vos annonceurs, pourquoi j'achète ? Pourquoi j'irais dépenser de l'argent pour le canard du coin ?
Mon avis : pour des infos inédites, percutantes et agressives avec les pouvoirs, des reportages de qualité, et de l'info-service locale exhaustive, notamment d'agenda (associations, culture, mairie etc), du beau fait divers (et le sport local à ne pas dépeupler).
L'info-service, la plupart des journaux locaux le font déjà très bien... mais en réalité, elle a complètement phagocyté le reste des pages locales ! Alors que franchement, je me fous de la tête du président de l'association bidule sur 2 colonnes.
Donc on réduit l'info-service à ce qu'elle est, on arrête les reportages de présentation louangeuse d'associations ou du moindre péquin qui se pointe au bureau, on ne va plus à la conf. de presse de la mairie qui présente son festival (sauf si c'est la fête annuelle hein ^^).
L'info-service, on remplit les bords de page avec au lieu de la laisser systématiquement envahir tout le journal. Par contre, on n'attend pas de la recevoir pour publier, et on utilise notre veille numérique pour assurer au lecteur qu'il ne ratera aucun événement chez nous.
On renforce drastiquement le reportage, qui n'a d'ailleurs pas à être forcément agressif pour peu qu'on vérifie systématiquement ce qu'on va couvrir, afin de ne pas laisser entrer les escrocs dans nos pages. Il y a aussi plein de belles histoires à raconter mais faisons-le bien !
Donc ça veut dire qu'on arrête d'attendre que les gens passent au bureau ! Ça introduit des biais massifs (manque de diversité par ex.). Et quand ils passent, s'ils sont intéressants, on les pousse : fini le clic-clac Kodak + 30 min de discussion pour faire une demi-page.
Non non : on négocie un beau reportage en situation, dont on leur laisse gérer l'accord des gens présents. S'ils y arrivent ils rappellent et là on y va en mode full dispositif PARCE QUE LE SUJET EST BON, pas parce qu'ils ont poussé la porte du journal.
Sinon, ben on les cherche les bons reportages, on se creuse le ciboulot et on harcèle les gens pour gratter de vrais accès en profondeur pour les lecteurs. Quitte à attendre un mois ou deux que la bonne occasion se présente.
Alors, au lieu de proposer un 4 colonnes torché, on peut passer sur une pleine page, une double page (ou plus !) avec de la belle photo, des anecdotes, un récit, un éclairage en encadré etc etc. Bref, on "tue" le sujet couvert, pas besoin d'y revenir.
Côté infos percutantes et agressive, on va lire mon thread sur la veille numérique pour en trouver #autopromo. Traiter tout ça en profondeur. Et ajouter les sujets issus des présences aux conseils de collectivités.
Les sujets conseils, soit on fait un papier d'ambiance le lendemain et on met de côté le reste, soit on choisit un sujet dominant et un sujet mineur en encadré. Plus. De. Papiers. À. Points. Je vous en supplie, c'est imbitable et sans réel intérêt. Plus facile, j'admets ça.
Vous avez plein de restes ? Faites-en de beaux papiers en complétant par appels et reportage si besoin, anglés SUR LE SUJET/L'INFO et pas en mode "ça s'est passé au conseil municipal". La venue en conseil fait dialoguer majorité et opposition, ça c'est très utile.
Autre avantage : intercepter les élus pour faire avancer tous les autres sujets en cours. Car en gros, en fait, on change tout à la chronologie. On ne pense plus à la journée, à la semaine/deux semaines mais en semaines ou mois. Au début c'est dur, la tâche est colossale.
Mais une fois que vous avez suffisamment de sujets en parallèle, avec du court, du moyen et du long terme, tout change : chaque sortie, chaque conseil est dédié à faire progresser plusieurs d'entre eux. Les choses s'imbriquent au gré des reportages et des coins où on va.
Un roulement redoutablement efficace se met en place. Et vous verrez, vous ne manquerez pas de sujets pour remplir vos pages ! D'expérience, vous croulerez sous les exclusivités, que vous écoulerez au fil de l'eau selon vos sorties en reportage.
Par contre, ça signifie qu'on arrête avec la religion de la breaking news : on ne cherche plus à se battre sur la vitesse (du tout), mais sur l'exclusivité et la qualité. Je sais, c'est l'exact inverse de ce qu'on apprend. Pourtant, ça marche !
Certes, on fait moins de "coups", d'achats impulsifs du journal. On construit une relation au lecteur différente, plus saine selon moi, et surtout, on gagne des abonnés qui ne lisent pas que les pages de leurs villes. Et ça, c'est précieux.
Ça permet aussi, lorsqu'on décide de bouger la rédaction car une actualité domine tout, de parvenir à une mobilisation totale, sans l'épuisement mental dû au papillonnage d'actu chaude en actu chaude (souvent peu importante pourtant) le reste du temps...
Et puis, si vous ne voulez pas abandonner l'actu chaude dans le papier, laissez-les aux rédactions web en desk. Elles alimentent ainsi une partie des locales sur leur cœur de métier à elles. Pas la peine de mobiliser son chef d'agence locale parce que le maire a fait un prout !
Je vous parlerais bien aussi du dézonage, mais il est souvent déjà effectif compte tenu de la réduction des moyens dans tant de titres... conservons juste les formats actuels, ça ira très bien une fois que vous aurez renforcé vos moyens dans les bureaux détachés.
Quoi ? Augmenter les moyens ? Mais comment ? Simple : rappelez-vous que vous avez supprimé tous les services hors de notre cœur de métier. Bon, faudra résister aux DAF et autres directeurs ou actionnaires qui pensent comme des comptables.
Et là, normalement, vous avez sérieusement de quoi renforcer les locales. Mais aussi de quoi acheter du meilleur matériel et proposer de solides plans de formation aux journalistes : photo, veille numérique, techniques d'enquête etc.
Parce qu'à un moment, il va bien falloir reparler des correspondants locaux : arrêtons. Arrêtons de proposer des sous-papiers aux lecteurs. Arrêtons d'exploiter ces gens. Embauchons les jeunes, ou créons plus de contrats pro. pour les former.
Alors, il y a bien un écueil à tout ça : les pouvoirs, qu'ils soient associatifs, d'entreprise et surtout politiques vont gueuler. Fort. "Quoi, vous ne venez pas aux vœux ? On ne vous voit pas à l'inauguration ? Aux commémorations ?C'est une honte !"
Ben non, déso pas déso, on ne vient pas. On a déjà couvert en détail votre école avant même qu'elle ne sorte de terre. Et si on vient à l'inauguration, c'est parce qu'on a eu l'écho de malfaçons. Au conseil, parce qu'on sait qu'il y a un truc chaud ou qu'on a des courses.
Oh, au début, ce sera mal pris. Mais ils s'habituent progressivement, pour peu qu'on leur explique que les papiers qu'ils apprécient lire, où on est pointu et précis, eh bien, ils sont à ce prix. Et que le journal, ce sont ces articles qui le font vendre.
Surtout que les "bonnes nouvelles" et l'actu institutionnelle de ce type, elle est déjà omniprésente et ça nous bouffe. Pourquoi acheter un journal qui répète en à peine plus critique ce qu'on reçoit déjà directement sur papier glacé ou par les réseaux sociaux des collectivités ?
Ne nous laissons pas attraper par la formidable bulle de filtre que constituent ces pouvoirs qui parfois nous entourent. Les lecteurs, eux, suivent en général assez vite, parce qu'en fait, c'est sympa de lire des choses de qualité dans tout un journal !
Ma seule certitude est que les titres locaux doivent arrêter de perdre des lecteurs pour en regagner. Et je crois sincèrement, pour avoir vu que ça marchait, au journalisme de qualité. Si 50 % du journal est top on aura déjà tellement progressé...
J'espère que ce plaidoyer vous a convaincu de tenter de faire un peu autrement, voire carrément (rêvons un peu) d'engager un basculement pour tester dans une locale. Sinon, n'hésitez pas à me dire le mal que vous en pensez, ou en quoi c'est impossible ;-)
Voilà, c'était le dernier, j'arrête de polluer les TL de tout le monde avec mes threads sur le journalisme. Il me restera à les accrocher les uns aux autres, et à les compléter au fil de l'eau avec mes nombreux oublis ou de précieux conseils de confrères. Bonne soirée !
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