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[THREAD 17 octobre 1961] J'ai un souvenir à vous raconter concernant le #17octobre1961 qui remonte à quelques années, à la fac de Nanterre.
Vous pouvez lire le thread de @LarrereMathilde et @laurencedecock1 avant de vous lancer dans mon thread storify.com/LarrereMathild…
J'y animais en 2009 un cours de programmation : les étudiants de Licence Cinéma devaient organiser une projection autour d'une thématique.
J’avais deux groupes que je coordonnais. Pour le premier, j’avais négocié avec une exploitante de Courbevoie pour que les étudiant-e-s…
...organisent une nuit de projection. Ils avaient la salle de 22h à 6h, ils choisissaient le thème, les films et en assuraient la promotion.
L'exploitante s'occupait des copies, trouvait le projectionniste et offrait le petit déjeuner aux spectateurs le matin. Ils étaient heureux.
Le second groupe rentrait dans un partenariat de longue date avec la BDIC (Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine).
La BDIC possède le plus grand fonds sur les conflits contemporains, dont des documentaires et des films de cinéma. Les projections...
...étaient prévues dans l'amphi B qui venait d'être rénové. On travaillait avec Rosa Olmos de la BDIC. Évidemment, les étudiant-e-s de ce...
…groupe étaient moins enthousiastes que leurs camarades qui avaient en charge une séance plus « fun ». Je les ai rassuré en leur disant...
…qu’en s’investissant dans le travail, cela deviendrait leur programmation, qu’ils auront plaisir à défendre. Le travail a donc commencé...
...piano par la recherche d'une thématique et de films à projeter. Après quelques séances, ils avaient repéré une thématique sur l'Algérie..
…et un documentaire "17 octobre 1961 : Dissimulation d’un massacre", de Daniel Kupferstein (2001). On part sur ce sujet que l'on...
…découvre un peu tous ensemble (moi le premier, qui comme beaucoup confondait avec Charonne). On tombe un peu des nues prenant conscience...
…de la gravité du massacre du 17 octobre 1961 et du puissant silence qui l’entoure. On réfléchit à la médiation qui peut l’accompagner.
Une table ronde s’impose à l’issue de la projection. Le réalisateur, Rosa Olmos et l’historien Gilles Manceron acceptent d’y participer.
La ville de Nanterre nous propose alors L'Agora, une salle de quartier, à la jauge beaucoup plus petite que l’amphi B de 900 places.
Ils-Elles décident d'un événement en deux temps : le film de Kupferstein à Nanterre-Ville, un autre film le lendemain en amphi B à la fac.
Je dis alors aux étudiant-e-s qu’il va falloir aller chercher les spectateurs pour assurer une jauge que j’espère à une vingtaine...
…de personnes. Le film est exigent, la thématique sensible, le territoire concerné. Les étudiant-e-s commencent à défendre leur projet.
On fait faire des flyers avec le bout de budget négocié auprès de la fac et je propose aux étudiant-e-s de le distribuer le dimanche…
…sur le marché de Nanterre-Ville, à proximité de L’Agora. On se retrouve donc à 9h un froid dimanche de février à distribuer notre flyer.
Autant vous dire que l’accueil est frais et les étudiant-e-s se confrontent au mieux au désintérêt des passants, au pire à leur agressivité.
Aux « Les Algériens, j’men fous ! » succèdent les « Moi, je vote FN. ». On encaisse avec les étudiant-e-s. Pour certains, c’est brutal.
Et puis des miracles : un monsieur refuse d’abord le flyer, passe son chemin. Puis s’arrête et fait demi-tour : « C’est gratuit ? »
Bilan de la distribution contrasté. On repart trois heures après constatant qu’une bonne partie de nos flyers sont piétinés par le chaland.
Mercredi de la projection. Je retrouve le groupe une heure avant la séance. Prudents, on installe une petite vingtaine de chaises.
A 18h, un peu de monde se presse devant les portes de L’Agora. On redéploie une dizaine de chaises supplémentaires. Ça se remplit !
C’est finalement une cinquantaine de personnes qui viendront. Les étudiant-e-s sont rempli-e-s de fierté. Je cède ma chaise à un monsieur.
Quelques parents sont là avec des ados. Pas mal de vieux Algériens. Plusieurs spectateurs suivront finalement la séance debout.
Le documentaire est diffusé. Gros silence dans la salle. A la sortie de la projection, les étudiant-e-s installent la table-ronde.
Deux d’entre eux animeront le débat. Le public reste. La parole est donnée aux invité-e-s. Kupferstein explique la difficulté à monter...
...la production de son documentaire. Il évoque le sort des archivistes placardisés pour s'être trop intéressé aux archives du 17 octobre.
Gilles Manceron revient sur l’occultation par les autorités de ce massacre ayant eu lieu en plein Paris. Et de la nécessité d’en parler.
La parole est donnée à la salle. Une spectatrice s’interroge sur la réparation possible : les coupables seront-ils un jour condamné ?
Manceron est pessimiste : il y a le temps de la justice et celui de l’histoire. Il est peu probable que cela se règle devant les tribunaux.
J’ai repéré à ma droite un vieil Algérien qui s’agite depuis le début du débat. Il hésite, amorce un mouvement pour demander la parole…
…laisse passer un tour de parole. Puis, semblant prendre tout son courage, lève la main pour demander le micro. On le lui apporte.
Il s’en saisit. S’y accroche fermement. Puis, une boule dans la gorge : « Moi, j’étais là le 17 octobre 1961. »
Il semble sortir d’un silence de 48 ans.
Il nous raconte la journée du 17 octobre 1961. Rappelant les consignes d’une manifestation pacifique. Départ du bidonville de Nanterre.
Il est furieux contre certains propos tenus dans le documentaire par des négationnistes que Kupferstein confronte aux faits.
Il explique l’arrivée au Pont de Neuilly, la violence de la répression policière, les corps jetés à la Seine. La sidération et la fuite.
Le retour au bidonville où il manquait un très grand nombre de ceux qui étaient partis pour une marche pacifiste.
Le silence est total dans la salle qu’un frisson vient de traverser. L’Histoire vient de nous revenir en pleine gueule. Il rend le micro.
Rosa Olmos invite le monsieur à venir à la BDIC enregistrer son témoignage.
Gilles Manceron conclue qu’un événement comme celui organisé par les étudiant-e-s ce soir-là participe surement d’une forme de réparation.
Les étudiant-e-s comprennent qu’à travers cette UE Programmation, ils/elles ont réalisé quelque chose d’essentiel.
Pendant plusieurs années, les participants à ce groupe m'enverront un message le 17 octobre. L'expérience aura été marquante.
Autant pour eux/elles que pour moi.
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