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J’ai cette étude à lire pour un journal club et je la trouve super intéressante donc je vais faire un petit thread.
nature.com/articles/s4147…
Dans la fin des années 50, un plant de tomate dont les fruits (oui la tomate est un fruit) se détachent depuis l’endroit où la tige porte le fruit, et non sur la tige elle-même, est découvert, dû à une mutation apparue par hasard qu’on nomme "j2".
science.sciencemag.org/content/134/34…
Auparavant, les tiges de l’inflorescence comportaient ces petites boursouflures, où les tiges se cassaient lorsqu’on arrachait les fruits.
En anglais la boursouflure est appelée "joint", d'ou le nom de j2, pour "jointless 2" (2 parce que yen avait un autre identifié avant)
Et avoir ce petit bout de tige accroché à la tomate ça pose problème, parce que lors du tri, du transport, du stockage, ces tiges vont abîmer les fruits, voire les perforer.
Il y a un parallèle intéressant avec Cash Investigation à faire ici. Dans l’émission on présentait sous un jour inquiétant l’amélioration des tomates pour qu’elles pourrissent moins vite et se conservent mieux.
Sauf que cette amélioration permet de diminuer drastiquement le gaspillage. C’est tout de même cocasse de dénoncer une pratique diminuant le gaspillage, alors que le gaspillage est un énorme problème écologique.
Gaspillage que l’on va ensuite recommander de diminuer pour pouvoir pallier les rendements moindres du bio dans un monde 100% bio.
lemonde.fr/planete/articl…
Bref. Ici aussi, on a aussi un outil qui va diminuer le gaspillage. Parce que oui, le gaspillage, c’est pas seulement les légumes que vous laissez moisir dans le bac du frigo. Le gaspillage il a lieu à de nombreux niveaux, de la production jusqu’au consommateur.
A la production, un champ ravagé par des insectes ou pathogènes, c’est du gaspillage.
Au transport, au stockage, et sur les étals, des produits qui ne se conservent pas, qui s’abîment, c’est du gaspillage.
Ici, ne pas avoir la tige évite du gaspillage.
Avec tout ça j’ai toujours pas parlé de l’étude. Revenons à ce plant de tomate sans boursouflure. On a planté les graines de ce plant, et on s’est rendus compte qu’il produisait aussi beaucoup plus de fleurs que la normale (à droite sur l'image vs normal à gauche).
Plus de fleurs, c’est super intéressant, parce qu’une fleur donnera un fruit après fécondation. On aura donc un plant avec plein de tomates. Et qui se détachent de la tige. Double bénéfice !
Sauf que c’est pas si simple. Produire des fruits, ça demande de l’énergie à la plante. Cette énergie est récupérée par les feuilles qui font la photosynthèse. Si on rajoute trop de fleurs, la plante aura besoin de plus d’énergie qu’elle ne peut en fournir, et sera affaiblie.
Il faut donc un équilibre entre les parties dites végétatives, comme les feuilles et les tiges, et les parties reproductives, les fleurs. Ici, il n’y a pas cet équilibre, et malgré le caractère super intéressant, ces variétés étaient moins performantes.
A la base, les chercheurs souhaitaient surtout comprendre ce qui pouvait jouer un rôle dans la formation des fleurs, et ce qui pouvait multiplier leur nombre.
Pour cela, ils ont comparé le génome de 4193 variétés de tomates sauvages et cultivées dans une première étude, et ont trouvé que la floraison excessive était causée non pas par une mais par deux mutations dans deux gènes différents. sciencedirect.com/science/articl…
La première mutation, j2, qui avait déjà été identifiée dès les années 60, mais aussi une seconde qu’il a fallu identifier.
Cette mutation est aussi présente dans les plants de tomates qui n’ont pas la mutation j2, et dans lesquels il y a un nombre normal de fleurs. Il faut donc que les deux mutations soient présentes à la fois pour avoir cette quantité excessive de fleurs.
Les auteurs posent donc l’hypothèse que cette autre mutation va interagir avec la première. Ils l’appellent donc ej2, pour « enhancer of j2 ».
Ils sont allés plus loin et ont cherché pourquoi cette mutation ej2 était présente aussi chez des plantes qui ont un nombre normal de fleurs, et ce que cette mutation causait chez ces plantes.
Ils ont trouvé que cette mutation avait un rôle dans la taille des sépales, la partie externe de la fleur, qui devient les sortes de petites feuilles au-dessus de votre tomate.
Les auteurs supposent que cette mutation a été sélectionnée il y a des milliers d’années durant la domestication de la tomate, soit indirectement lorsqu’on a sélectionné des fruits plus gros (et donc avec des sépales plus gros),...
soit directement car ces sépales plus gros pourraient fournir un meilleur soutien à la fleur ou au fruit, voire avoir un intérêt esthétique.
Cette mutation ej2, sélectionnée il y a des milliers d’années et ainsi présente dans la majorité des tomates cultivées aujourd’hui, interagit donc avec la mutation j2 découverte plus récemment.
En fait, ces deux mutations surviennent dans des gènes assez proches, avec des fonctions proches. La présence des deux mutations à la fois a donc une sorte d'effet additif.
Ce sont des gènes impliqués dans la formation et la maturation des méristèmes, qui sont les parties de la plante impliquées dans la croissance, c’est par là que les plantes grandissent.
Durant leur maturation dans les parties reproductives, les méristèmes peuvent former les fleurs, ou bien se diviser pour donner plus de « branches » à l’inflorescence avant de former des fleurs.
La présence des mutations j2 et ej2 cause la formation d’un nombre excessifs de ces méristèmes au niveau des inflorescences, et donc d’un nombre excessif de « branches » de l’inflorescence et de fleurs.
Pourtant, des variétés possédant les deux mutations j2 et ej2, et ayant un bon équilibre entre parties végétatives et reproductives existent bel et bien. Les chercheurs ont voulu comprendre pourquoi.
Et on arrive à la seconde étude, ou ils ont comparé les plantes portant les deux mutations et ayant beaucoup de fleurs, et celles ayant les deux mutations mais ayant un nombre normal de fleurs
nature.com/articles/s4147…
Ils supposent la présence d’un troisième gène permettant de supprimer l’interaction des deux autres.
Dans la première étude, les auteurs avaient trouvé que le mutant ej2 causait une anomalie dans la transcription, qui faisait que ce gène s’exprimait moins, et donc qu’on a au final moins de la protéine pour laquelle le gène code.
(Pour les plus avancés, c’est un problème d’épissage, donc plutôt post-transcriptionnel, mais je simplifie un peu)
Ils supposent donc que le troisième gène permet de compenser ce problème dans l’expression des mutants ej2.
Après séquençage, ils voient que chez les plantes ayant les deux mutations mais des inflorescences normales (les points rouges), le gène ej2 est retrouvé en plus grandes quantités.
Ici on ne parle pas d’expression, mais de simple présence du gène. Cela suggère fortement que le gène en question est présent en plusieurs copies chez ces plantes, ici on aurait une duplication.
Et c’est ce qu’ils confirment par la suite, le gène est bel et bien dupliqué.
Sur la figure, on voit que le gène dupliqué (en bas), amplifié par PCR, n'est présent que chez les individus Fla.8924, ceux chez qui on observe le nombre de fleurs normal.
Et pour confirmer que c’est bien cette duplication qui rend les inflorescences normales, les auteurs ont causé des mutations par CRISPR dans cette copie de ej2 pour la rendre inactive.
Chez ces individus pour lesquels la copie est inactive, on retrouve le même problème que chez les plantes ayant uniquement les deux mutations. C’est donc bel et bien cette seconde copie qui supprime le problème.
Comme on l'a vu, il y a un problème dans l'expression de ej2, et la présence d'une seconde copie permet de compenser ce problème en doublant ainsi la quantité de protéines au final.
Cette duplication de ej2, apparue par hasard, a été sélectionnée indirectement car elle a facilité l’introduction de j2 (la mutation qui fait que les fruits se détachent) en empêchant d’avoir trop de fleurs.
Sachant tout cela, on peut désormais améliorer les tomates pour qu’elles se détachent de la tige, sans avoir d’effet négatif. Il suffit de s’assurer que l’on ait le gène ej2 en deux exemplaires.
Les chercheurs se sont amusés à trouver des variétés possédant deux copies de ej2, mais pas la mutation j2, et ont introduit cette dernière par CRISPR.
Le résultat : des tomates sans boursouflure (j2), avec des inflorescences normales (2 copies de ej2).
La mutation de ej2 étant causée par une insertion dans le gène, on pourrait aussi supprimer cette insertion pour rendre le gène de nouveau 100% fonctionnel, et qu’il n’y ait pas besoin de 2 copies. Mais on a pas vraiment à ce jour la technologie pour faire cela.
Toute cette histoire montre à quel point la génétique est complexe, les gènes pouvant interagir entre eux, des mutations qui n’ont pas d’impact pouvant soudain avoir un impact en introduisant une autre mutation, etc.
Avec les outils d’aujourd’hui, comme le séquençage de plus en plus rapide, efficace, et peu coûteux, ou l’édition de génome de plus en plus efficace, précise, on peut de mieux en mieux comprendre cette génétique.
Avec cette compréhension du fonctionnement de la plante au niveau génétique, on peut développer de manière bien plus efficace des variétés répondant à nos besoins, nos problématiques.
Et je parle même pas forcément de faire des OGM hein. Pouvoir identifier des gènes, des mutants, etc, ça permet aussi de mieux les introduire par des techniques plus classiques, notamment par simples croisements.
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