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[Thread] Dans le contexte de la discussion du #PPLCyberhaine #PPLAvia il me semble utile de rappeler quelques fondamentaux et les conséquences qui me paraissent devoir en être tirées. Mes plates excuses par avance pour la longueur.
1. La haine / l’hostilité sont des sentiments humains, permis. Ils peuvent même être utiles car ils motivent souvent l’écrit subversif (cf. Rimbaud, Breton, Eluard..), notamment artistique et politique, qui est essentiel au débat d’idées, donc à la démocratie (CEDH Lindon 2007).
2. Conséquence : la liberté d’expression vaut particulièrement « pour les informations ou idées (...) qui heurtent, choquent ou inquiètent l'État ou une fraction (...) de la population » (CEDH Handyside). Le contester revient à contester le principe même d’État de droit.
3. L’État de droit est un système démocratique dans lequel toute personne, État inclus, est soumise au droit et peut s’en prévaloir (CoE, Comm. Venise tiny.cc/fuq68y). Ce droit inclut des engagements pris en 1950 pour prévenir le retour de régimes totalitaires : la CEDH.
4. La CEDH permet de limiter la lib. d’expression si 4 principes sont respectés dont une base légale, la nécessité de la limitation (qui doit être efficace pour répondre à un réel besoin social) et sa proportionnalité (limitée au strict minimum + des garanties doivent l’assurer).
5.Question se pose dans chaque Etat : y-a-t’il besoin social d’interdire certaines formes de haine. Réponse zone Europe : oui. Réponse France : oui, quand la haine est susceptible d’atteindre par ricochet (via le destinataire) la dignité/intégrité physique/psychique des personnes
6. Donc, plusieurs dispositions existent déjà, réprimant l’injure, la diffamation, la provocation à la haine/violence/discrimination, l’apologie ou la banalisation grossière / négation de certains crimes, incluant depuis une période récente l’apologie / provocation au terrorisme.
7. Compétence légitime : juge de la presse. Car la haine est contextuelle, elle doit être jugée par des experts, indépendants, ayant pris le temps / ayant le pouvoir de s’intéresser à ce contexte. Il faut évaluer l’intention de l’auteur (au moins sa conscience / bonne foi).
8. Il faut évaluer l’effet de l’écrit sur le public. Conscience et réception ne sont pas établis par ex. si l’auteur s’est distancié de son personnage, s’il est satirique/caricatural, s’il s’attaque (en réalité) aux idées et non à la personne.
9. Car LA CRITIQUE DES IDEES EST PERMISE. Elle est la condition de changements sociétaux majeurs par remise en cause de conventions établies. Pensons à de Mably et Beccaria qui ont œuvré contre le châtiment pénal corporel, à V. Hugo qui a œuvré contre la peine de mort.
10. D’ailleurs, pour sanctionner, le juge doit constater que la haine vise des pers. phys. individualisables ; elle doit encore avoir pour cible une caractéristique individuelle listée : origine, ethnie, nation, race, religion, sexe, orient. sexuelle, identité de genre, handicap.
11. Cette liste est critiquable mais la modifier suppose une intervention du législateur dans le cadre de débats pesant nécessité et proportionnalité, pas d’un acteur privé dans ses CGU (principes de légalité, de compétence constitutionnelle...).
12. Outre les sanctions possibles, d’autres dispositions plus ou moins critiquables (mais qui existent) permettent au juge voire à l’autorité administrative d’ordonner le filtrage sur réseaux ou serveurs.
13. Problème : toujours beaucoup de haine et idées choquantes sur les rés. sociaux, ainsi que des remises en cause de modèles établis, qui dérangent, heurtent la paix sociale. Pire, des modèles économiques qui utilisent la haine pour augmenter le temps de présence des internautes
14. Traduction juridique du problème : des infractions ; beaucoup d’exercice normal de l’expression dans un État de droit ; apparente méconnaissance des principes de l’État de droit par le grand public, certains représentants politiques/médiatiques, certains acteurs privés.
15. Une solution : traiter le mal, non les symptômes. Dont (a) donner les moyens à la justice d’absorber dans des temps normaux enquêtes et jugements. Une pré-étape pourrait être envisagée (cela n’engage que moi) mais si nécessaire, une fois les autres traitements mis en œuvre.
16. (b) Réformer le système pénitentiaire afin qu’il cesse de créer de la récidive (et accessoirement qu’il respecte les droits humains - les deux étant liés). @OIP_sectionfr ;
17. (c) Sensibiliser/former citoyens et élites politiques/sociales/médiatiques aux ppes de l’État de droit ; au devoir de forme qu’implique la lib. d’expression (mesure et bienséance -CEDH Lindon) ; à la nécessaire tolérance de la critique des idées, croyances et comportements ;
18. ... à une éthique de l’argumentation, à une utilisation des mots pour leur sens sans les connoter de manière erronée (notamment pour qualifier des faits)... pouvant former un code d’« éthique de la communication », principalement destiné aux élites...
19. ... afin que la haine ne soit pas alimentée par la construction d’idées préconçues (ex. de la sécurité - cf. sur notre pacifisme tinyurl.com/y543l9kr). Refs.17-19 : CNCDH, rapp. racisme 2016 ; ECRI, reco n°15 de 2015 sur la haine ; Comm. Venise, rapp. 2010 sur blasphème...
20. En revanche, (a) la censure en 24h de contenus potentiellement illégaux n’est pas une réponse conforme à l’État de droit (nb : les victimes ne veulent généralement pas d’une disparition de l’infraction mais une poursuite des auteurs et leur jugement).
21. (b) La censure d’idées choquantes pour une partie de la population mais non illégales (et ne pouvant le devenir) est encore moins acceptable (exemple de la critique des pesticides, des vaches à hublot, de la corrida, des religions en tant qu’idées...).
22. (c) Permettre aux acteurs privés de censurer sur la base de leurs CGU constitue en outre une violation, par l’État, de son obligation positive de légiférer pour assurer le respect de la liberté d’expression entre citoyens eux-mêmes (CEDH 26 mars 1985, X. and Y v. Pays Bas).
23. En encourageant de telles mesures, la Commission européenne (Code de conduite de mai 2016, recommandation de mars 2018) méconnait également l’État de droit, bien qu’elle s’en défende.
24. Idem lorsqu’elle recommande que des organisations de la société civile qualifient les contenus à supprimer. Leur mission n’est pas la qualification juridique objective, mais la défense de victimes (un avocat ne peut rédiger la loi applicable à son client).
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