Beaucoup de commentaires sur le rassemblement massif en cours à Téhéran, pour les funérailles de Soleimani. La participation est-elle volontaire ? Contrainte ? Il s’agit de sortir de ce dualisme pour interroger le nationalisme iranien. Petit thread
Les références à l’histoire font partie intégrante du discours politique tenu par les représentants de la République islamique. Cette utilisation permet au régime d’affirmer son caractère exceptionnel et de bâtir un grand roman national servant ses intérêts.
La guerre Iran-Irak est un des principaux piliers de ce discours. Ce récit n’est pourtant pas une invention récente. Il trouve ses racines dans les bouleversements politiques et culturels qui ont transformé l’Iran à la fin du XIXe siècle.
L’État-nation iranien s’est construit autour d’une forte identité nationale s’appuyant sur différents éléments. L’Iran est présenté comme un pays dont l’histoire et le destin se fondent avec l’histoire de l’humanité.
Akhundzadeh et Kermani, au XIXe siècle, sont les premiers à mettre en perspective cette idée de nation iranienne (mellat-e Iran) avec l'histoire de la Perse ancienne (cfr le Miroir d'Alexandrie (A'eneh-ye sekandari) publié en 1891).
Ce particularisme lui impose de se défendre contre les menaces extérieures qui ont cherché, à de nombreuses reprises, à le soumettre.
Cette posture défensive se décline dans le discours politique tout au long du XXe siècle pour finir par être intégré par la république islamique, autour de ses propres concepts, en vue de rendre intelligible les politiques adoptées.
L’étude de ce récit national et de son instrumentalisation par les différents pouvoirs qui se sont succédé en Iran permet donc de mieux comprendre certains mécanismes qui sous-tendent les politiques adoptées par le régime islamique.
L’élaboration progressive d’une mémoire et d’une conscience partagée permet, en outre, de mieux concevoir la manière dont se définit l’altérité et donc la distinction entre le « eux » (Gheyr-e Khodi) et le « nous » (Khodi).
Cette distinction est récupérée par le régime pour affirmer aussi que la défense du pays doit se faire à l’intérieur du pays. La menace est perçue comme venant de partout, l'Iran étant une "nation assiégée" suivant le mantra officiel.
Dans le cadre iranien, cette approche permet de faire émerger un conflit entre une essentialisation de l’histoire, basée sur une approche authentique et particulière de sa civilisation, et une appropriation des concepts et notions occidentales.
L’histoire du pays en sort politisée suivant des objectifs politiques propres au système en place, faisant émerger une identité spatiale unique dotés de référents symboliques voire mythiques calibrés en ce sens.
Le roman national iranien est ainsi celui d’un amalgame entre différentes conceptions, tantôt héritées d’une approche moderniste tantôt articulées autour d’une conception traditionaliste. L'image du martyr (shahid) s'articule ainsi dans cette idée.
Le discours national iranien finit cependant par se définir suivant une négation presque schizophrénique. Ce récit national se base, en effet, sur plusieurs contradictions.
Déjà, la contestation de la modernité et le discours anti-impérialiste entrent en collision avec une absorption des outils modernes de construction d’un État-nation inspiré des modèles occidentaux.
Ensuite, l’idée d’« iranité » proposée finit par refermer la République islamique sur elle-même, à l’intérieur de frontières aussi bien physiques que mentales.
Au final, dans les rassemblements de ce jour, les motivations sont diverses. On peut y retrouver des personnes contraintes mais aussi des défenseurs de la République islamique comme des défenseurs de la nation iranienne. C’est cette complexité qu’il faut aborder. Fin du thread
