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Petit thread nocturne sur le droit d'asile. Je mentionne @norabz même si ça ne la concerne pas directement, ne soyez pas surpris.
Ça fait partie d'une opération purge de sa TL sous les ordres du général @Jaddo_fr
Pourquoi c'est compliqué pour un avocat, le droit d'asile ? Parce qu'on nous demande rien de moins qu'un exploit par dossier.
Mais d'abord qu'est ce que le droit d'asile ? C'est une vieille tradition française, que la France a réussi à détruire.
Au XXe siècle, la France a accueilli des quantités de réfugiés qui en remontrent au million de Merkel (mais mille danke sur elle)
En vrac, en pleine première guerre mondiale, des Arméniens fuyant le génocide. Puis dans la foulée, des Russes blancs fuyant les rouges.
Puis des rouges fuyant la folie de Staline. Puis des républicains espagnols. etc.
Au lendemain de la 2de guerre, l'Europe est en lambeaux. Les frontières ont bougé, les peuples aussi, et pas dans le même sens.
Alors en 1951, les grandes nations européennes signent une convention pour protéger ces populations chassées de chez elles.
Elles avaient en tête les juifs allemands des années 30 et sur les bras les Allemands des années 45-50.
C'est la Convention de Genève du 28 juillet 1951. La lecture de l'article 1er est sidérante, vous allez voir.
Elle prévoit en effet qu'elle ne s'applique qu'aux réfugiés en raison d'événements antérieurs au 1er janvier 1951.
Dans la tête de ces chefs d'Etat qui sortaient du conflit mondial, le pire était nécessairement passé. Ca ne pouvait plus se reproduire.
Il faudra un protocole en 1967 pour faire sauter cette condition, et rendre la Convention de Genève permanente. #RealityCheck
C'est la Convention qui définit ce qu'est un réfugié. C'est l'article 1,A, 2°. C'est moche, mais tous les avocats d'asile connaissent ce n°.
Voici cette définition.
Les demandes d'asile sont faites en préfecture après un parcours d'obstacles rien de moins que dégueulasse.
Le seul but de cette procédure est de tendre un max de chausse-trappes procédurales pour rendre le demandeur d'asile irrecevable.
Ça ne marche pas trop grâce aux associations qui sont réactives et disponibles. Cœur sur vous les sœurs.
Une fois le dossier déposé, c'est une office spécifique qui traite toutes les demandes : l' @Ofpra, à Fontenay-Sous-Bois, 94.
Le demandeur d'asile est reçu par un agent de l'office (on appelle ça un OP, Officier de Protection, ça claque, hein ?)
L'OP reçoit le demandeur en entretien, avec un interprète le cas échéant, et écoute son récit puis l'interroge sur divers points.
L'OP se pose deux questions : les faits sont-ils établis, et si oui, relèvent-ils de l'asile ?
Si la réponse est deux fois oui, bingo, le statut de réfugié est accordé.
Un seul non, et c'est le rejet. Avec possibilité d'un recours devant la Cour Nationale du Droit d'Asile (CNDA).
Longtemps, ce n'était qu'à ce stade que l'avocat intervenait. On récupérait un dossier déjà rejeté par l'OFPRA, et à l'attaque.
Depuis peu, les réfugiés ont le droti d'être accompagné lors de l'entretien à l'@ofpra, par un avocat ou un associatif.
Merci à l'Union européenne d'ailleurs.
Cette faculté est peu utilisée pour le moment. Peu connue, et surtout pas pris en charge par l'aide juridictionnelle.
La norme, c'est : un demandeur débouté nous contacte, avec sa décision, et sa transcription d'entretien, tapée par l'OP lui-même.
Le délai est d'un mois pour rédiger un recours écrit, motivé, et assez solide pour passer le stade du filtre (rejet sans examen).
C'est court. Très court. Car il faut recevoir le demandeur (interprète pour sa poche), voir avec lui les détails manquant.
Et nous voilà au cœur du sujet. Imaginez le travail que c'est, face à une personne ne parlant pas français,
généralement assisté d'un interprète plein de bonne volonté mais dont ce n'est pas le métier,
à analyser le compte rendu d'entretien (10-12 pages facile) pour voir ce qui n'allait pas dans le récit, ce qui clochait, ce qui manquait,
…l'expliquer au demandeur de façon à ce qu'il le comprenne, obtenir des précisions, voire le vrai récit et pas ce qu'on lui a dit de dire.
Mettre tout ça au clair, voir si ça rentre dans les cases de l'article 1, A, 2°, et l'expliquer dans le recours.
Puis vient le plus difficile.
Oui, ça c'était la partie facile.
Il va falloir préparer le demandeur à l'audience devant la cour. Lui demander de s'ouvrir, de raconter, avec le max de détails, sa vie.
Une audience, c'est intimidant. Par principe. L'enjeu, là, est tétanisant. C'est l'asile, la vie, la protection, la sécurité.
Ou en cas de rejet, la précarité, la clandestinité, la menace d'être renvoyé là d'où on a fuit.
Sur des personnes traumatisées par ce qu'elles ont vécu, et qui vous feraient dresser les cheveux sur la tête si vous en saviez la moitié.
Pensée à cette gamine de 4 ans, sage comme un ange, reçue avec ses parents un jour de juillet.
J'avais complètement zappé les répétitions de 14 juillet. Quand le bruit des jets a résonné, elle s'est prostrée sous la table en hurlant.
Je m'en veux encore.
Parce que les gamins réfugiés, voilà le genre de trucs qu'ils dessinent (ici un enfant tchadien, photo MSF)
Le combo audience impressionnante et stressante + traumatisme est notre pire ennemi. Car il fait que les requérants sont peu bavards.
Ils se contentent de réponses courtes, sans entrer dans les détails. Ils veulent que ça se termine le plus vite possible.
Et ça, c'est fatal. C'est le rejet assuré. Il faut qu'ils parlent. Ils ont envie de se taire. A nous de les préparer.
Et on ne va pas se mentir. On échoue souvent. Parce que c'est LE point sur lequel on ne peut rien faire à l'audience.
On ne peut pas parler à leur place. Même si dans notre cabinet, ils nous ont parlé. Et que ce qu'ils nous ont dit est un ticket pour l'asile
Ils se referment comme une huître à l'audience. Un mot, un regard ou une absence de regard de la cour suffisent.
Et on sait que c'est mort.
Je suis convaincu qu'un grand nombre des déboutés de l'asile relèvent bien de ce statut mais n'ont pas réussi à parler.
Peu importe. L'Etat se réfugie dans une fiction d'infaillibilité de la procédure.
S'ils ont été déboutés, ils ne risquent rien et doivent repartir.
Mais une réussite, une victoire, une annulation devant la CNDA rattrape dix échecs. Quel pied.
C'est rare d'avoir la vie de ses clients entre ses mains. A la CNDA, ça arrive.
Voilà. J'ai assez spammé @norabz que je remercie pour sa patience. Mort aux cons.
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