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Re-bonjour =) le vote ayant été décisif nous allons maintenant parler de géométrie de Poisson. Déjà parlons du bonhomme et de la manière dont il s'inscrit dans le paysage mathématique français
Une bonne référence semble être editions.polytechnique.fr/?afficherfiche… édité par les Presses de @Polytechnique et dirigé par Yvette Kosmann-Schwarzbach, une grande mathématicienne française, spécialiste de la géométrie de Poisson
Je veux d'abord vous toucher un mot de cette chercheuse qui a contribué à fonder la discipline dans les années 1970-1980, après Lichnerowicz et aux côtés de Weinstein. Elle s'investit dans la transcription de l'histoire de la discipline, puisqu'elle était aux premières loges.
Bref big up à elle et à son travail ! Je rajoute juste un mot aussi sur l'école française sur ce domaine. En réalité la France a été pas mal à l'avant-garde sur ce domaine, notamment par l'influence de Lichnerowicz (1915-1998).
Aujourd'hui, lors des conférences bisannuelles POISSON qui réunissent tous les membres de la communauté et apparentés (le profil des gens est très vaste), on décerne le prix Lichnerowicz pour les jeunes chercheur·se·s méritant·e·s. La prochaine conf est l'été prochain à Toronto.
A part donc Yvette Kosmann-Schwarzbach comme fondatrice du domaine, on peut aussi citer Alan Weinstein (à Berkeley). Il a notamment dirigé les thèses de tout plein de chercheur·se·s qui sont actuellement des pointes en géométrie de Poisson.
Je vous parle de ces détails sociologiques et historiques car une discipline ne surgit pas de nulle part et ne se développe pas toute seule. Les Mathématiques sont pas aussi "pures" qu'ont pourrait le croire (sujet d'un autre thread : la socio des sciences).
Pour donner une idée de l'importance de l'école Française dans les années 1980 à ce sujet, un des articles les plus cités du domaine et coécrit par Weinstein est "Groupoïdes Symplectiques" édité aux Publications du Département de mathématiques de l'@UnivLyon1 en 1987.
Aujourd'hui, il y a peu de géométrie de Poisson en France sauf quelques cas isolés, les grands centres sont Utrecht, Barcelone, Berkeley, Gottingen, PennState, Leuven, Zurich, Rio, Luxembourg...et Paris ! En fait il suffit de suivre la trajectoire des doctorants de Weinstein =)
Bref revenons à Poisson, il a vécu dans la première moitié du XIXème siècle, donc après Lagrange+Laplace et avant Hamilton+Jacobi. Ce sont les grands noms associés à la formalisation de la mécanique newtonienne.
En mécanique newtonienne, les variables utilisées sont la position et la vitesse (ou l'impulsion) d'une particule. C'est un peu du jardinage : on a les variables et les conditions initiales, on connait les équations auxquelles les variables obéissent, on les pose on les résout.
Lagrange et Laplace ont développé des techniques de mécanique analytique pour faire ça de manière un peu plus générale. Ils ont fait de la physique mathématique en gros : s'inspirer de problèmes physiques pour développer des théories mathématiques qui les généralisent.
Parlons du Lagrangien. Cet objet permet d'écrire les équations du mouvement de manière ultra concise et on peut les en déduire facilement ! Car on préfère avoir un smartphone avec tous nos contact enregistrés dedans, qu'un carnet d'adresses qui est moins pratique.
Le Lagrangien L est une fonction qui dépend des variables dynamiques (positions, vitesses, temps), et les équations du mouvement de la mécanique newtonienne s'obtienne de manière élégante grâce au "principe de moindre action"
Ce principe dit en gros que "la nature suit le chemin le moins dépensier en énergie" (c'est la même chose en optique quand la lumière suit le chemin où elle perd le moins de temps - Principe de Fermat).
Alors je concède que dit comme ça c'est pas très parlant, mais il faut imaginer que le ballon avec lequel vous jouez, peut se résumer par une position et une vitesse. Sa trajectoire dans l'espace est donnée par une solution des équations du mouvement...
...c'est à dire que en résolvant les équations, vous trouvez une fonction du temps = chemin dans l'espace, qui est la trajectoire. Le principe de moindre action dit que cette fonction du temps que vous trouvez est en fait un minimum du Lagrangien - en gros (mes cours sont loin).
J'invite les physiciens de la salle à me corriger ou à donner des précisions quand je suis imprécis (toujours) =)
Bref le Lagrangien c'est un outil mathématique qui, lorsqu'on lui applique le principe de moindre action (i.e. lorsqu'on cherche son minimum) redonne les équations du mouvement de Newton. C'est donc la classe intersidérale. C'est ce qui sépare une voiture volante d'une charette.
La preuve en est que les physiciens ne peuvent pas s'en passer ! Ils le mettent à toutes les sauces : équations de Maxwell, équations du modèle standard, équations de la relativité générale, les physiciens passent leur temps à poursuivre des Lagrangiens
Je me demande s'il y a un Lagrangien pour les équations de Navier-Stokes ??
Le problème avec le Lagrangien c'est qu'il donne des équations un peu grosses (du second ordre, avec deux dérivées) comme les équations de Newton. C'est là qu'intervient les travaux de Poisson qui ont mené à la mécanique d'Hamilton et de Jacobi.
Il faut bien voir que la manière dont je le raconte n'a rien à voir avec la manière dont ça s'est passé et les motivations des chercheurs à l'époque. On a une vision d'ensemble aujourd'hui donc on peut voir qui a influencé qui, en quoi était utile telle découverte...
Mais à l'époque ils se posaient des problèmes dont on a pas eu connaissance si on est pas plongé dans les archives. En l'occurrence je n'ai que peu de connaissance sur l'histoire des mathématiques de l'époque...
...mais je sais que Jacobi cherchait à réduire des équations du second degré à des équations du premier degré. Cela a influencé autant ses travaux sur la mécanique, que la théorie des feuilletages dont je vous parlerai plus tard dans la semaine. All is connected !!
Poisson écrit un Traité de Mécanique en 2 volumes (1811 et 1833) dans lequel il décrit les principes de la mécanique Lagrangienne et Laplacienne. Il introduisit notamment des notations utiles et fait grand usage de l'impulsion (qui vaut p=m*vitesse en mécanique newtonienne).
Et il introduisit ses fameux crochets de Poisson qu'on note { . , . }. Je ne sais pas d'où vient l'appellation crochet mais en tous cas c'est un opérateur qui mange deux fonctions et qui en renvoie une nouvelle, avec une formule un peu compliquée.
C'est ce crochet qui est utilisé dans la version Hamiltonienne de la mécanique: les variables ne sont plus (position, vitesse, temps) mais (position, impulsion, temps). On dérive les équation du mouvement à partir des équations de Hamilton, qui sont plus simples !!
On passe de la mécanique lagrangienne à la mécanique hamiltonienne via une "transformation de Legendre", et le Lagrangien se transforme en Hamiltonien. L'avantage du Hamiltonien c'est qu'il induit des équations du premier ordre. Ca a été très utile pour le développement de la MQ.
L'autre avantage de la méca hamiltonienne, c'est qu'on a une description géométrique de la mécanique. La méca lagrangienne c'est plutôt une histoire de fonctions, de minimums, d'analyse en quelque sorte, alors qu'en hamiltonienne, on parle de champs de vecteurs, de géométrie !
C'est là qu'on va parler de géométrie de Poisson <3 <3 : c'est l'étude générale des systèmes inspirés par la mécanique hamiltonienne.
En mécanique Hamiltonienne, un système physique est défini par 1) un espace des phases, avec pour coordonnées les positions et les impulsions, 2) le crochet de Poisson donné plus haut, 3) le Hamiltonien
En géométrie de Poisson, on va oublier le point 3) et on va relâcher les points 1) et 2) : on autorise l'espace des phases à être une variété (= une surface de dimension arbitraire) et on généralise le crochet de Poisson original
Je vais commencer par expliquer ce qu'est une variété : une variété en dimension 1 c'est une ligne, en dimension 2 c'est une surface telle qu'on l'imagine : une bouteille vide, un tableau, la surface de la Terre...en dimension 3 c'est un volume plein
Une boule de pétanque est une variété de dimension 3 à bord (la surface de la boule) - au même titre qu'un tableau est une variété de dimension 2 à bord (les bords du tableau).
Il n'existe pas vraiment de variété de dimension 3 dans notre vie de tous les jours, car il faudrait être en dimension 4 pour la voir. Bref, restons sur l'idée que les variété sont des surfaces généralisées, de dimension arbitraires.
Sur toute variété (= surface de dimension n) on peut définir des champs de vecteurs. Ce sont comme on l'imagine des vecteurs (= des flèches) tangents à la variété. L'exemple type, c'est la carte des vents sur la terre !!
Ici la variété c'est la surface de la Terre (variété de dimension 2) et le champ de vecteurs qu'on regarde c'est le vent : en tout point, on a une flèche qui indique la direction et la force du vent
Interlude : il y a de jolis théorèmes sur les champs de vecteurs sur la sphère. L'un d'entre eux s'appelle "le théorème de la boule chevelue ou de la noix de coco", en fait démontré par Brouwer en 1912.
Cela dit en gros : "on ne peut pas peigner une noix de coco sans qu'il y ait un épi quelque part" Corollaire : vous pouvez être sûr qu'à tout moment, il existe au moins un point de la Terre où le vent est strictement nul.
Bref, retour à nos poissons : en géométrie différentielle, les champs de vecteurs c'est un peu ce qui fait tout. En relativité générale, le tenseur de Riemann il gobe des champs de vecteurs (mais on ne vous le dit pas forcément).
Les champs de vecteurs peuvent aussi être vus comme les vecteurs tangents aux chemins sur la variété : en effet tout chemin suivi sur la variété définit un vecteur vitesse tangent à cette variété.
La propriété mathématique des champs de vecteurs c'est qu'ils mangent une fonction pour en redonner une autre, en la dérivant selon la direction dans laquelle pointe la flèche. Un champ de vecteur est une dérivée directionnelle !
Ayant présenté les champs de vecteurs on peut parler de "bi-champs de vecteurs" : imaginer qu'au lieu d'avoir une flèche en chaque point, vous en avez deux : ça indique deux directions dans lesquelles dériver.
Dans ce contexte, on appelle "bivecteur de Poisson" un bi-champ de vecteur P: (f,g)---->P(f,g) (où f et g sont des fonctions) qui satisfait l'identité P(P(f,g),h)+permutation circulaire = 0 (identité de Jacobi)
On peut vérifier que le crochet de Poisson défini par Siméon-Denis Poisson est un bivecteur de Poisson.
On appellera "variété de Poisson" une variété munie d'un bivecteur de Poisson.
Si vous le voulez bien je m'arrête là pour l'instant et reprendrai plus tard pour les applications, et propriétés de ce genre de variétés =)
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