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Tristan Kamin @TristanKamin
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Bon, aux dernières nouvelles, j'avais laissé un REP sans alimentation externe, sans alimentation interne, sans aide extérieure possible, au bord de l'accident #nucléaire.

Qu'est-ce qu'il va lui arriver ?

Alors, d'abord, une petite déclaration de... Non-intérêt :p

Je ne travaille pas dans le domaine des accidents graves de réacteurs.

Donc je me base sur des souvenirs de cours, essentiellement ^^
Il est par conséquent tout à fait possible que je fasse quelques erreurs, ou quelques omissions ou hypothèses un peu fortes. Mais je ne doute pas qu'on me le fera remarquer, donc il y aura peut-être des errata en fin de thread ;)
J'ai donc mon réacteur qui vient de s'arrêter, avec 200-300 MW de puissance résiduelle (et non pas "quelques dizaines" comme je l'ai dit tout à l'heure) à qui sont encore produits dans le cœur par sa radioactivité.

Mes pompes primaires, notamment, ne sont plus alimentées.
Elles continuent à assurer la circulation quelques instants grâce à leur volant d'inertie, transférant la chaleur vers les GV, avant de s'arrêter complètement.
Mais la physique nous joue un heureux tour. Rappelez vous de la géométrie du primaire : les générateurs de vapeur sont en hauteur, par rapport à la cuve ! On a donc une source de chaleur en bas, et une source froide en hauteur.

Du coup, il s'établit une convection naturelle qui fait circuler l'eau chaude vers le haut et l'eau refroidie par les GV vers le bas.

Une convection naturelle qui serait totalement insuffisante si le réacteur était en fonctionnement, mais pour la puissance résiduelle, ça suffit!
D'ailleurs, il faut noter que tout au long de la séquence que l'on va décrire, la puissance résiduelle elle va diminuer.

Si on part de 4 GW (pour un réacteur de 1300 MW électriques), au moment de l'arrêt, on est tout au plus à 300 MW.
Je dis "tout au plus" parce que ça dépend de l'âge du combustible. S'il vient juste d'être partiellement remplacé, on a une partie du coeur qui est très peu radioactive, donc chauffe peu.
S'il était sur le point d'être renouvelé, ça chauffe au max.
Puis ça décroît :
après une minute, on tombe à 200 MW ; 80 MW après 30 minutes, 60 MW à une heure, 24 MW après un jour.
Bref, par convection naturelle (« thermosiphon »), on transporte la chaleur aux GV. Mais eux, ils en font quoi de cette chaleur ? Et bien ils la transmettent à l'eau du secondaire, qui, du coup, va s'évaporer.
Cette vapeur, on va pouvoir la rediriger vers une turbine qui va faire tourner une pompe (une turbopompe, quoi...), qui va prélever de l'eau dans un réservoir (une « bâche ») pour l'acheminer vers les GV.
Et la vapeur, après avoir entraîné cette turbopompe, on peut la relâcher dans l'atmosphère, on a plus le matos disponible pour la condenser. Peu importe, c'est de l'eau du secondaire, jamais en contact (sauf accident, quoi) avec le primaire, donc saine.
Bref, de la sorte, on peut évacuer la chaleur du cœur pas mal de temps. Et donc se donner le temps, d'une part de laisser baisser la puissance résiduelle, et d'autre pour rétablir le courant, apporter de l'eau, etc. Obtenir des délais.
Mais on a dit : aucune aide extérieure.
Donc la bâche où se sert la turbopompe, elle va se vider, et on va supposer qu'on n'a pas d'autre source d'eau disponible.
Donc la chaleur, on va continuer à la transférer aux générateurs de vapeur, à faire évaporer l'eau du secondaire, mais sans en ramener. Donc on va assécher les GV côté secondaire.
Plus de refroidissement, du primaire, donc, et donc plus de convection naturelle. L'eau du primaire va se figer.

Du coup, au niveau du contact avec le combustible, l'eau va s'échauffer peu à peu, jusqu'à ce que des bulles de vapeur se forment sur les gaines du combustible.
C'est bulles vont grossir, se décrocher, et monter vers le haut de la cuve.

On va avoir une sorte de grosse bulle de vapeur, donc, sous le couvercle, qui va peu à peu grandir.

Puis la bulle va avoir assez grandi pour commencer à se propager dans le primaire.
On a vu la forme du primaire, on voit que si une bulle se forme en haut de la cuve, si elle se propage vers le bas, elle va passer dans les tuyauteries et donc va se propager dans tout le reste du circuit.
Du coup peu à peu, le primaire va passer sous forme de vapeur dans les générateurs de vapeur, le pressuriseur, les pompes...
Et la vapeur chaude, de plus en plus chaude, ça va monter en pression. Jusqu'à faire sauter les soupapes du pressuriseur (si elles n'ont pas été ouvertes avant, ça dépend de comment s'est produit l'accident, mais imaginons qu'on subisse vraiment tout).
Du coup la vapeur va s'échapper vers ces soupapes d'abord dans un réservoir, puis, quand celui-ci sera plein, ses propres soupapes vont conduire la vapeur à s'évacuer dans l'enceinte de confinement.
Donc là, on a perdu la seconde barrière de confinement (le circuit primaire), mais la première (les gaines du combustible) et la troisième (l'enceinte) tiennent le coup.
Bon, la pression et la température vont peu à peu monter dans l'enceinte, mais avant qu'elle atteigne les quelques bars qu'elles est concue pour encaisser, il va se passer d'autres choses.
Revenons dans notre cuve.

La vapeur à commencé à se barrer par les soupapes, donc la pression chute drastiquement.
Donc encore plus de vapeur se forme.
Peu a peu, tout le circuit primaire est en vapeur, et la bulle de vapeur continue alors a se propager vers le bas de la cuve.
À un moment, le combustible se retrouve en contact non plus avec de l'eau liquide mais avec de la vapeur, très peu conductrice de chaleur.
Le combustible va donc ne plus pouvoir bien évacuer la puissance thermique vers l'eau et va peu à peu chauffer.
Et vers 1800°C il va se passer un truc drôle : l'alliage de zirconium qui constitue les gaines du combustible va s'oxyder.

Alors l'oxydation du zirconium au contact de l'eau a haute température, c'est pas comme de la rouille, non non.

C'est.
BADASS.
Non, je déconne avec cette image, hein.

Mais c'est une réaction (chimique) violente. Qui libère beaucoup de chaleur.
J'ai déjà entendu parler de "feu de zirconium". Je ne sais pas si c'est une image ou si on a littéralement des flammes.
Mais alors là c'est un peu la fin, quoi.
Ça commence à sentir la fusion.

Les gaines claquent, la température décolle, et le mélange de combustible, de gaines, et du reste des trucs a l'intérieur de la cuve commence à fondre.
Les radioéléments sous forme de gaz ou d'aérosols présents dans le combustible se barrent dans le primaire (perte de la première barrière de confinement) et donc, peu à peu, via les soupapes, dans l'enceinte (troisième barrière de confinement).
Donc si jusque là on pouvait toujours dépressuriser l'enceinte en rejetant la vapeur par la cheminée (la vapeur est toujours un peu contaminée, mais à travers les filtres des cheminées, sur les réacteurs français, ça serait pas trop méchant)...
... là on se retrouve avec beaucoup de radioactivité dans l'enceinte.

Du coup, balancer à la cheminée...

Bah on le ferait quand même, hein, parce qu'il vaut mieux des rejets contrôlés, filtrés, à la cheminée, qu'incontrolés en cas de rupture de l'enceinte sous la pression.
C'est un des gros problèmes de Fukushima, c'est qu'ils n'ont pas pu dépressuriser ni filtrer, jusqu'à la rupture. Lolilol.
S'ils avaient eu des moyens de dépressuriser au travers de bons filtres, les rejets auraient été bien moindres... Mais avec des "si"...
Oh, et il y a un truc que j'ai oublié, c'est que quand le zirconium s'oxyde...

Il produit du dihydrogène.

Gaz hautement volatil et hautement explosif, la joie !
Bon. Nos enceintes de confinement, contrairement à celles de Fukushima-Daichi entre autres, elles ont des recombineurs, des machins qui, sans aucune source d'énergie, peuvent retransformer l'hydrogène pour éviter l'explosion. On devrait limiter les problèmes de ce côté.
Mais le risque hydrogène est à traiter très sérieusement malgré tout, pour éviter ne serait-ce que des explosions petites et localisées, qui fragiliseraient l'enceinte ou les tuyauteries. Et on n'a pas besoin de ça : on a un souci de cœur qui est en train de fondre...
Et là... J'atteins mes limites.
Je sais pas trop. Si on a de la chance, ou si on finit par ramener de l'eau, il peut rester bien dans la cuve comme à Three Mile Island.
Ou il peut percer la cuve, comme pour certains réacteurs de Fukushima, s'étaler sur le béton et, pourquoi pas, imaginons, percer le béton et se disperser dans le sous-sol, mais ça n'est semble-t-il heureusement jamais arrivé.
Enfin bon. La leçon de tout ça, c'est qu'il faut TOUJOURS
AVOIR
LE
COMBUSTIBLE
SOUS
EAU
Roh. Le con.
J'ai oublié de signaler qu'au cours de la baisse de pression du circuit primaire suite au dégazage au travers des soupapes, on va déclencher les soupapes des accumulateurs de l'injection de secours.
Ce sont des réservoirs d'eau très borée (le bore, pour assurer de ne pas avoir de retour de la réaction en chaîne) qui sont sous pression, en permanence, à quelques dizaines de bar.
En cas de baisse de pression du primaire sous leur propre pression, ils vont naturellement (sans avoir besoin d'action ou d'électricité) se vider dans le primaire, fournissant un GROS appoint d'eau fraîche, et donc un délai supplémentaire avant de dénoyer le coeur.
Et j'ai aussi omis une petite turbine, alimentée aussi par la vapeur des GV (tant qu'ils en produisent), qui elle même alimente un petit alternateur, pour fournir un peu de puissance électrique pour gérer les systèmes de sauvegarde.
Bref.
On voit qu'un scénario d'accident grave, ça existe, le risque zéro n'existe pas, évidemment.

Mais on a fait un (petit) tour d'horizon de tous les moyens qu'on a pour gagner du temps, garder le cœur refroidi le plus longtemps possible, et ce...
...même dans le cas où l'on a perdu rigoureusement TOUTES les alimentations électriques, externes, internes, et où l'on n'a pas de source froide venant de l'extérieur.

Donc on est dans un cas extrême, en termes d'improbabilité d'occurrence : prévention.
Et en cas d'occurrence malgré tout, on a fait le maximum pour limiter les conséquences : mitigation.

Rejets filtrés, dispositions pour obtenir les plus gros délais possible, pour rétablir les systèmes de l'intérieur, ou recevoir de l'aide depuis l'extérieur.
En termes de dispositions de mitigation, y'a aussi tout ce qui se passe autour de la centrale : consignes de prendre les pastilles d'iode, de se confiner, ou d'évacuer, en fonction de la tournure des événements.
D'ailleurs, puisqu'on en parle ! En cas d'accident grave, nucléaire ou autre, faites STRICTEMENT ce que vous disent les autorités. Même si ça peut vous paraître bizarre, ils savent mieux que vous ce qui se passe.
Si on vous dit de vous confiner, n'évacuez pas, confinez vous ! Vous vous exposeriez davantage à la pollution, si elle est passagère, en sortant pour vous éloigner qu'en restant bien à l'abri dans une maison fermée.
N'allez pas non plus chercher vos gosses à l'école, où ils seront confinés ou évacués, si besoin. N'allez pas vous entasser (avec eux, au retour) dans des embouteillages et maximiser votre/leur exposition au danger.
Bref, je me suis égaré, je reviens à mon réacteur. Mais j'ai un peu fait le tour, là...
Éviter les accidents ET imaginer qu'on ne les évitera pas et minimiser les conséquences. Une règle d'or qui a fait défaut, historiquement...
Une centrale n'est pas une bombe, n'est pas quelque chose qui peut "péter" au moindre événement, et rien n'est pris à la légère, on a toujours un empilement de protections organisationnelles et matérielles entre l'événement et l'accident radiologique.
Maintenant, je crois que l'heure va être venue de regarder les commentaires, et éventuellement d'apporter les compléments et corrections qui m'auront été recommandés ^^
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