La procédure pénale française, quand ce n'est pas un jeu de dupes, c'est du Kafka. Un exemple réel et en cours. #Thread
Soit Albert et Bernard, deux amis, qui sortent se jeter un deux ou dix godets. De verres en verres, ils sympathisent avec Charlie, un 3 larron aussi bourré qu'eux.
Leur estaminet, fermant, ils s'en vont titubant à qui mieux-mieux à la recherché d'une taverne ouverte nuitamment. Bernard a pris sa dernière bière dans un gobelet avec lui.
La marche donnant soif, Charles demande à Bernard de pouvoir boire dans son godet. Bernard y consent, mais Charles rechigne à le lui rendre.
Or Bernard est un adepte de l'article 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen : le droit de propriété, pour lui, c'est sacré. L'éloquence le fuyant vu son éthylisme, il préfère recourir à un langage bien plus universel et lui met une grande tarte dans la tronche.
Albert s'interpose pour séparer les belligérants, avant de s'en prendre une de Bernard qui tient à rester dans le débat en tête à tête. Un quidam de passage subit le même sort et, de nature légaliste, appelle la maréchaussée qui embarque tout le monde pour ne pas faire de jaloux.
Charles, dans les brumes de l'alcool, porte plainte tout azimut, en vertu du principe peu laïc de "Dieu reconnaîtra les siens." Bernard et Albert sont placés en dégrisement et mettront huit heures à émerger avant de se voir notifier leurs droits.
On peut déjà à ce stade s'interroger sur notre loi qui impose huit heures de cachot à un ivre avant de lui notifier quoi que ce soit mais ne voit pas de problème à ce que cet état permette de porter plainte, c'est à dire accuser d'un crime ou d'un délit.
Adoncques ce petit monde est enfin un peu plus lucide, mais perclus de céphalées, et entendu par l'OPJ. C'est là qu'arrive votre serviteur, qui assiste Albert, fort marri d'avoir perdu une journée de travail.
L'interrogatoire d'Albert est fort bref : il raconte la soirée, reconnait avoir bu, voulu jouer les casques bleus avant de se replier sur une position de nature helvétique quand la boîte à baffe s'est mise à bailler trop largement.
On en est à 12h de GAV.
On en est à 12h de GAV.
L'OPJ n'a pas de questions de relance : visiblement (puisque je n'ai pas accès au dossier, on ne sait jamais ce que je pourrais en faire, des trucs dingues comme défendre, que sais-je ?) il n'y a rien dans le dossier qui l'incrimine sauf les propos embrumés de la victime.
Et bien Albert est toujours en GAV et il sera donc prolongé à l'aube, à l'heure de son interpellation, afin que l'on procède à une confrontation dont l'OPJ convient qu'elle sera inutile.
En effet, dans 99,9% des confrontations, chacun maintient sa version et nous voilà bien avancés. Cette non manifestation de la vérité se sera payée en heures de liberté.
Tout ça parce qu'un proc de permanence gardien constitutionnel des libertés mais pour qui la liberté est une variable d'ajustement sans plus n'ose pas lever une garde à vue qui ne s'impose nullement. Et parce que je n'ai aucun, strictement aucun recours contre cette mesure.
Là où ca vire au sublime, c'est que demain, dès le début de la confrontation, la première chose que lira l'OPJ est la plainte de la victime. Document dont l'accès m'est refusé en attendant. Parce que fuck you I can, on s'est pas encore fait condamner par la CEDH.
Et donc un gus dont le seul tort a été de vouloir s'interposer a perdu une journée de boulot, peut être deux, et peut-être son travail parce que non, c'est plus pratique de le laisser dans un cul de basse-fosse, on aura le PV plus vite.
