1 Thread Conflits d’intérêts, KOL et industrie pharmaceutique. Une stratégie globale qui se joue à hauteur d’homme.
2 John Mandrola @drjohnm , cardiologue connu et respecté aux USA, a écrit un article, mettant en évidence, le rôle des biais et des conflits d’intérêts financiers dans les prescriptions des médecins.
3 Ceux-ci ont fait l’objet de deux présentations au congrès annuel de la American Heart Association. medscape.com/viewarticle/90…
4 Il utilise l’exemple de la prescription de défibrillateurs en cardiologie, qui a fait l’objet d’une étude particulièrement démonstrative. Les défibrillateurs sont prescrits par des cardiologues spécialisés en électrophysiologie.
5 Dans cette étude 3500 cardiologues ont reçu 23 millions de dollars sur deux ans (médiane 1758$ , moyenne 6562$). Ceux qui avaient touché le plus d’argent d’une entreprise étaient de 3 à 11 fois plus susceptibles de prescrire son défibrillateur par rapport à ceux des autres.
6 On observe aussi un effet dose-réponse, c’est à dire que les chances de prescrire le défibrillateurs d’une marque étaient d’autant plus grandes que le cardiologue a touché plus d’argent de cette entreprise . Cela dépendait aussi de l’entreprise .
7 Par exemple les cardiologues ayant reçu plus de 10 000$ de la compagnie A avaient 6 fois plus de chances de prescrire son défibrillateur que ceux ayant reçu moins de 100$. Mais ceux ayant reçu plus de 10 000$ de la compagnie B avaient, eux, 37 fois plus de chances .
8 Dans ce cas l'influence semble être plus nette que pour les médicaments. Peut-être parce que le choix est limité, que les relations se jouent avec qqs entreprises seulement, et qu’elles sont probablement plus intenses et rémunératrices pour les spécialistes impliqués.
9 John Mandrola a fait aussi un petit sondage où il demande si les lecteurs pensent qu’il est correct qu’un représentant de labo invite des internes à diner pour leur présenter un médicament en l’absence de médecins expérimentés. 1/3 des quasi 2000 répondants pensent que oui
10 Pourtant, une revue systématique de Austad, Avorn et Kesselehim en 2011 montrait que les étudiants en formation étaient particulièrement vulnérables à l’influence des méthodes utilisés par les visiteurs médicaux pour influencer leur jugement ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21629685
11 La dernière fois qu’une visiteuse médicale est venue me voir à mon travail j’ai été obligée de la laisser plantée dans le couloir tellement elle était insistante. Je crois qu’elle a épuisé avec moi toutes les formules d’accroche apprises en école de commerce et au laboratr.
12 Pourquoi a-t-elle fait cela ? Tout simplement, je pense, parce que ça l’amusait de me mettre dans l’embarras.
13 Je ne tire aucune fierté d’avoir refusé de la recevoir. Je n’ai fait qu’épargner mon temps et éviter d’encombrer mon cerveau avec des informations tronquées et inutilisables. Il n’y a aucun enjeu académique ni financier pour moi. Tout au plus ai-je perdu un stylo gratuit.
14 J’ai toujours considéré les visiteurs médicaux comme des commerciaux, des vendeurs de voitures, même si je m’obligeais à les recevoir quand j’étais jeune remplaçante me disant que c’était leur gagne-pain et que je ne pouvais pas les en priver.
15 Mais à voir la réaction de cette VM, une vie consacrée à la manipulation d’autrui semble être une occupation des plus amusantes pour certains.
16 C’est ce que semblait penser Bernard Dalbergue, médecin ayant mené pendant 20 ans une carrière bien remplie de cadre dans l’industrie pharmaceutique.
17 Il a travaillé dans diverses entreprises pharmaceutiques dont des multinationales et occupé différents postes de celui de chargé de produit à celui de chargé de relations avec les leaders d’opinion que je vais appeler KOL (pour Key opinion leader), par commodité.
18 Tout en sachant que le mensonge et la manipulation étaient au centre de son activité il s’est longtemps justifié en se disant que, d’une part, c’était le jeu, et que son travail à lui était de faire gagner de l’argent à sa boite,
19 D’autre part, et c’est une auto-justification souvent avancée par les KOL eux-mêmes mais aussi par tous ceux qui défendent la présence incontrôlée des laboratoires dans tous les aspects de la vie du médicament, et auprès des médecins
20 Que les dommages ainsi provoqués, dommages dont les patients sont les victimes, étaient marginaux et finalement négligeables au regard de la capacité des laboratoires à mettre au point des médicament qui pouvaient « sauver des vies ».
21 Il n’a pas changé d’avis brutalement mais plutôt par un cheminement. BD a subi personnellement les dommages dus au Vioxx que le laboratoire MSD tentait d’imposer par la force aux autorités françaises alors que le directeur de la DGS de l’époque n’en voulait pas.
22 D’autre part, BD a été confronté à un véritable cas de conscience lorsque son laboratoire lui a demandé de couvrir le dysfonctionnement d’un stylo délivrant un médicament contre l’hépatite C.
23 Ce stylo, compliqué d’utilisatn, dysfonctionnait fréqmt . Le laboratoire ne voulait pas le remplacer par un stylo mieux conçu et plus cher pour ne pas diminuer ses marges, mais fit mine de gérer le problème, pr rassurer les autorités sanitaires, en multipliant les réunions
24 Le stylo, de Merck, se maintint pourtant sur le marché pendant 10 ans jusqu’ à ce qu’un médecin, le professeur Tran, lance l’alerte lexpress.fr/actualite/soci…
25 Au moment critique de la crise c’était un KOL qui était venu au secours du laboratoire pour défendre le stylo défectueux. Lors d’un congrès de spécialistes il réhabilite le stylo de Merck en évoquant une étude montrant des résultats équivalents à ceux des produits concurrnts
26 Aucun des spécialistes présents à ce congrès ne note que, dans cette étude, c’est une seringue, et non un stylo, qui a été utilisée pour injecter le produit.
27 Bernard Dalbergue a écrit, avec la journaliste Anne-Laure Barrère, un livre paru en 2014 intitulé « Omerta dans les labos pharmaceutiques ».
28 Entre autres choses, ce livre nous trace un portrait des KOL, non pas tels qu’ils se voient eux-mêmes mais tels que les voient ceux qui les rémunèrent et les cajolent et les manipulent les chargés de KOL. Et ce n’est pas forcément flatteur.
29 BD nous livre d’abord sa vision de l’évolution de l’industrie pharmaceutique pendant les 25 dernières années.
30 Pour lui, la panne sèche de l’innovation, qui dure depuis une vingtaine d’années a eu une conséquence majeure : celle d’ accroître la concurrence entre laboratoires et de les obliger à une recherche plus agressive de rentabilité immédiate.
31 Cette panne de l’innovation, qu’on définira en disant que une proportion de plus en plus importante de médicaments mis sur le marché n’apportent pas de progrès pour les patients a été constatée par la revue Prescrire et par la HAS.
32 Mais BD la caractérise en faisant appel à la liste des médicaments essentiels de l’OMS et constate que seulement 4%, une trentaine , des 700 médicaments commercialisés en 10 ans font partie de cette liste
33 Pour s’adapter à cette nouvelle donne, concurrence accrue et panne de l’innovation, les laboratoires ont adopté plusieurs tactiques.
34 Accélérer les fusions acquisitions et acquérir des jeunes biotech, réduire les frais de recherche et développement, multiplier les partenariats public-privé afin de s’approprier les fruits de la recherche publique,
35 fusionner les départements vente et marketing, ce qui a mené à une agressivité croissante des techniques utilisées pour atteindre les objectifs de vente, mais aussi à une inflation , parallèle à la réductn des budgets de R&D de la part du marketing dans le budget des firmes
36 Les actionnaires réclament, eux aussi, des dividendes élevées et peuvent poursuivre en justice les firmes lorsqu’ils estiment que celles-ci n’ont pas respecté leurs objectifs de rentabilité et leur ont fait perdre de l’ argent blogs.wsj.com/pharmalot/2015…
37 Il se crée ainsi un cercle vicieux où les grandes firmes pharmaceutiques faisant de moins en moins de R&D doivent compter de plus en plus sur les stratégies d’influence pour vendre, et comptent sur la recherche publique, pour produire des innovations .
38 Comme elles font moins de recherche, elles n’ont d’autre issue, devant l’urgence des profits, que d’opérer une fuite en avant vers toujours plus de marketing.
39 COMMENT SONT FABRIQUES LES KOL ET QUEL EST LEUR ROLE DANS CE CONTEXTE ?
40 Il faut d’abord comprendre que pour beaucoup de praticiens hospitaliers, devenir KOL est un objectif prioritaire car c’est un FORMIDABLE ACCELERATEUR DE CARRIERE. Accéder aux « boards » de l’industrie pharmaceutique est donc une consécration qui force le respect des pairs.
41 Le rôle du chargé de KOL, une fois celui-ci ferré, est de maintenir celui-ci dans une bulle de confort, de le divertir, mais, dns ts les cas, de lui éviter le moindre désagrémnt, le moindre frottement, de gérer les conflits, pr que les KOL ne se posent jamais de questions
42 Tranche de vie au cours d’un board
43 Pour que les KOL ne s’ennuient jamais, le chargé de KOL doit organiser des faux scoops.
44 Ou des coups de théâtre
45 On voit qu’il ne s’agit pas de COI passifs mais bien de la recherche délibérée par des professionnels rompus à la manipulation d’une coopération étroite et d’une loyauté contrainte, mettant, dans le cadre d’intérêts convergents, les KOL au service de leurs propres intérêts.
46 Tout cela est tacite. Mais la loyauté des KOL est mise à l’épreuve lorsque des effets indésirables ou des études défavorables se présentent. C’est alors aux KOL que les laboratoires font appel pour redresser la situation (comme dans l’affaire du stylo défectueux)
47 Convaincus de participer à la révolution en marche, que les médicaments qu’ils contribuent à mettre et à maintenir sur le marché « sauvent des vies », cela étant conjugué à leurs propres intérêts bien compris, les KOL passent facilement l’éponge sur les effets indésirables .
48 Cela vient opportunément compléter travail de sape de la pharmacovigilance du laboratoire qui consiste à étouffer les répercussions des rares effets indésirables déclarés par les médecins.
49 Les KOL se prêtent à des études, avec de vrais patients, qui n’ont d’autre intérêt que de permettre le marketing pour de nouveaux médicaments. Celles-ci sont aussi appelées « seeding trials » et ont été décrites en 1994 dans le NEJM nejm.org/doi/full/10.10…
50 Par exemple
51 Les KOL contribuent aussi au lancement de nouveaux médicaments, mais pas forcément de la manière qu’ils croient
52 Les KOL peuvent aussi espérer une évolution de carrière et acquérir de l'influence au niveau international.
Je fais ici une synthèse incomplète (il manque, notamment, les medias et les revues médicales) du rôle des KOL
CONCLUSION POURQUOI RACONTER TOUT CELA ?
Pour mettre en évidence plusieurs points :
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