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La journée continue à l' #AFS2019 et je suis à la conférence semi-plénière « Non-catégories » où interviendront successivement @CecileThome, Nicolas Henckès et François Héran.
Nous commençons par écouter

C. Thomé : « De l'invention de l'hétérosexualité à son invisibilisation : retour sur une catégorie trop évidente pour être nommée ».
Enjeu de cette intervention : comprendre l'invisibilisation de la catégorie hétérosexualité

1e partie : « L'émergence d'une non-catégorie“ ? » : l'hétérosexualité comme une catégorie largement impensée
C'est tardivement dans l'histoire des sciences sociales des sexualités (mi 1990s) qu'on a les premiers travaux sur l'hétérosexualité comme norme.

Voir notamment :

_L'invention de l'hétérosexualité_ de J. Katz

_L'invention de la culture hétérosexuelle_ de L.-G. Tin
Historiquement, l'hétérosexualité est d'abord nommée pour désigner une déviance par rapport à la « bonne » sexualité reproductive : l'hétérosexualité émerge comme catégorie pour désigner une sexualité fondée sur la recherche de plaisir.
Néanmoins, en sciences sociales, l'hétérosexualité reste longtemps une « non-catégorie ».

Elle émerge pourtant en tant que catégorie dans les luttes féministes, ou encore au moment de la cristallisation autour de l'hétérosexualité face à la « menace » du VIH des années 1970s.
[N'hésitez pas à suivre en parallèle le LT de la semi-plénière « Classements familiaux, classements scolaires et formation des habitus de classe » par @SocioTonyo

@SocioTonyo La 2e partie de l'intervention de C. Thomé, « Dé-essentialiser l'hétérosexualité : d'une non-catégorie à une catégorie », dit une évolution : progressivement, l'hétérosexualité n'est plus allée de soi. Elle est aujourd'hui nommée.
@SocioTonyo D'où la 3e partie : « Des usages profanes ? Face à la non-catégorie, revendiquer sa catégorie ».

Par ex., revendications d'hétérosexualité de la part d'hommes qui ont des rapports sexuels entre hommes, comme une carapace contre le stigmate.

📖 _Not Gay_ de J. Ward, 2015
@SocioTonyo Au final plutôt que non-catégorie, l'hétérosexualité est plutôt une catégorie multiforme, voire une forme de système qui dit le genre plutôt que la sexualité = catégorie organisant les rapports de genre inégaux.
@SocioTonyo Nous écoutons maintenant la 2e intervention :

Nicolas Henckès : « Consoler sans classifier ? Des classifications et de leurs limites dans le traitement social des maladies mentales sévères »
N. Henckès défend que des situations sociales où il « ne vaudrait mieux pas » / « on ne voudrait pas » classer sont autant de situations qui produisent des normes sociales.

Pour cela, il s'appuie sur ses travaux sur les maladies mentales.
La psychiatrie est une science éminemment classificatoire -->
il y a un pouvoir psychiatrique qui impose des catégories au monde.

Mais N. Henckès veut s'intéresser aux situations dans lesquelles on ne veut pas / peut pas classer.

Voir notamment : bit.ly/30FwljD
Exemples de ces situations : les « non classifiés », les catégories qui marquent l'incertitude des diagnostics, les spectres qui évitent de statuer sur un état, les catégories profanes...

--> signalent toujours une « révolte » face à la classification sans pour autant en sortir
N. Henckès voit 3 grandes de ces révoltes en psychopathologie :

- la révolte des professionnels (compétitions entre champs)

- la révolte des usagers (refus qu'on leur applique des étiquettes)

- la révolte des financeurs (dé-médicaliser des états pour ne plus les financer)
Autant de révoltes qui aboutissent à la déconstruction de catégories psychopathologiques.

Un exemple : le diagnostic de « schizophrénie » – enquête menée sur une clinique universitaire allemande.

Les chercheur·es observent des incertitudes diagnostics sur la schizophrénie.
On trouve dans les dossiers des diagnostics du type « schizo. probable », « début de schizo. », « peut-être schizo », « pas clair », etc.

Or il y a un enjeu majeur sur ce diagnostic, puisque sous le 3e Reich, il donnait lieu à l'euthanasie des patient·es.
Pour en savoir davantage sur cette enquête sur les diagnostics de la schizophrénie, voir

📑« Performing doubt and negotiating uncertainty: Diagnosing schizophrenia at its onset in post-war German psychiatry »,
N. Henckes et L. Rzesnitzek, 2018

bit.ly/2Udv6WH
Les sociologues ont montré que loin d'être le résultat d'une grande incertitude, ces diagnostics flous correspondaient à des situations très précises et donnaient lieu à des actions elles-aussi bien définies.
Donc des situations ambigües mais productives de normes.

N. Henckès prend à présent un 2e exemple : celui des classifications des services qui accueillent actuellement les personnes souffrant de maladies mentales.
Cette classification des services est liée à des enjeux financiers et épistémiques --> un problème moins simple qu'il n'y paraît.

Surtout au moment de la désinstitutionnalisation des années 1970s = fin des hôpitaux psychiatriques & réintégration dans les services des hôpitaux
En France, pays où la santé est très administrée, les services de santé mentale devraient être très clairement classifiés...

C'est en partie le cas grâce au FINESS, le « Fichier national des établissements sanitaires et sociaux » et à sa nomenclature des établissements.
Néanmoins, accord global sur le fait que ce FINESS est peu fiable : il recense mal les services, il est impossible d'y retrouver des services précis selon leurs fonctions...

Enfin sa classifications est « baroque », et associe des services très disparates.

Bref, échec global.
Résultat = incapacité des acteurs à tous les niveaux à rendre compte des services de santé mentale existants.

Au final, ne pas classer renvoie à des affects mêlés (frustration de ne pas pouvoir classer, colère contre le classement, joie d'y échapper...)
#AFS2019
Nous passons à la dernière intervention de cette semi-plénière avec

François Héran qui intervient sur les catégories dites « ethniques ».
F. Héran commence par souligner une incompréhension : contrairement à ce qu'on entend régulièrement, les statistiques religieuses et ethniques ne sont pas *interdites* en France.

Il y a bien une interdiction de *principe* dans la loi...
... interdiction de traiter des données personnelles liées à la philosophie, l'opinion politique, la religion, l'état de santé, la couleur de peau, etc.

MAIS cette Loi Informatique et Liberté énonce de nombreuses dérogations, qui permettent entre autres les études de l'INED.
Sur quoi sont fondées ces dérogations ?

La loi dit qu'on peut récolter et analyser les données dites « sensibles » (religion, opinion politique, couleur de peau, appartenance syndicale, etc)
à condition que les finalités de l'enquête soit validées par la CNIL.
Autres conditions : l'anonymat des personnes enquêtées et le recueil de leur consentement éclairé.

Le tout sous la surveillance de la CNIL, donc, et les dérogations sont finalement très nombreuses.

Les enquêtes sur les « données sensibles », c'est donc « interdit... sauf si ».
Donc la grande majorité des savoirs produits par les enquêtes de l'INED est un « savoir dérogatoire », obtenu après des transactions répétées avec la CNIL pour obtenir des dérogations à l'interdiction de recueillir et traiter les « données sensibles ».
Rappel de quelques enquêtes sur les migrations en France :

« Trajectoires et Origines : Enquête sur la diversité
des populations en France »,

mais avant, déjà 2 enquêtes de 1992 (dont MGIS) qui s'interrogeaient sur les origines migratoires pour la transmission de la langue
Puis la grande enquête « Famille » à l'occasion du recensement de 1999.

F. Héran raconte qu'il a été « extraordinairement acrobatique et tendu » de mettre en place et de réaliser ces enquêtes.

Relations difficiles avec la CNIL autour de la Loi informatique et libertés.
La CNIL demande par exemple à F. Héran de supprimer du questionnaire INSEE enquête « Famille » plusieurs questions prévues sur l'adoption, les langues parlées, les pays de naissance des parents... etc.

Il a au final dû reprendre les textes juridiques pour faire passer les❓.
Des conditions tout aussi difficiles pour mettre en place l'enquête INSEE/INED TeO conçue dès 2004 (« Trajectoires et Origines : Enquête sur la diversité
des populations en France »)

Opposition notamment de la part d'SOS Racisme, qui accuse alors INSEE/INED de discrimination.
Au final, il n'a pas été possible de poser des questions sur « l'auto hétéro-perception » = « Comment les autres vous perçoivent-ils ? (noir, blanc, arabe...) ».

Les enquêtes utilisent donc tjrs le proxy des pays de naissance pour établir les liens « race »/ discriminations.
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