Thread by @ClosertoSpace

[Thread] - 🇫🇷

Chaque programme à une histoire officielle, mais également toujours de nombreuses anecdotes, références ou informations très peu connues.
Le programme Energiya/Buran n'y échappe pas, donc revenons sur certaines anecdotes et histoires de ce dernier!

Tout d'abord, pourquoi cette navette s'appelle Buran?
Et d'ailleurs, est-ce le nom du programme de navettes ou seulement de la première des navettes?

Buran est bien évidemment un mot russe, qu'on pourrait traduire: "un blizzard dans la steppe". Mais pourquoi avoir choisi ce nom?

Pour ça il faut remonter 30 ans en arrière. Buran fut en partie développée par Lavochkin. Or il se trouve que dans les années 50, Lavochkin a développé deux missiles balistiques assez spéciaux, appelés Burya et Buran.

Malheureusement, seul Burya vola, Buran restant à l'état de projet. Lors des études sur la navette spatiale soviétique, Lavochkin proposa donc le nom de Buran pour le programme, nom qui fut retenu.
Notez qu'à ce moment, Buran était le nom du programme, et pas d'une navette.

D'ailleurs la première navette s'appelait originellement Baïkal, et la deuxième Burya.
Finalement, Baïkal fut renommée en Buran, comme le programme.
Burya ne fut jamais officiellement nommée, ce nom n'étant mentionné qu'à quelques reprise dans les papiers officiels.

Notez le coup du destin. Dans les années 50 Burya vola là où Buran ne le fit jamais.
Dans les années 80, c'est Buran qui vola, Burya restant à tout jamais coincée au sol.
Voilà donc pour l'origine du nom!

Autre anecdote au niveau du nom, le complexe de lancement de Buran/Energiya s'appelait "Raskat", qu'on pourrait traduire par "coup de tonnerre" en français.
D'ailleurs ce pas-de-tir a été un casse tête pour les ingénieurs, qui ont dû faire rentrer un rectangle dans un triangle...

Eh oui, le pad 37 (le 38 n'ayant jamais servi pour Energiya) était celui de la N-1, qui possédait trois carneaux disposés en triangle.
Or, regardez la forme du tablier de lancement d'Energia...
On a donc moulé le pad pour que les 20 flammes au total se divisent en 3!

Le pad possédait une autre particularité, les échecs de la N1 étant encore dans les mémoires, les ingénieurs ont conçu un système qui entouraient les RD-0120 du 1er étage, et qui en cas de fuite projetait du fréon et de l'azote pour éteindre le moteur!

L'équipage avait un moyen assez particulier de monter sur "Raskat", ils utilisaient un petit train, situé dans le tuyau du haut, une vraie montagne russe!
D'ailleurs, certaines sections de rails ont étés découpées d'une fête foraine à Irkoustk pour être installés là.

En cas d'urgence, la descente ne s'effectuait pas par ce train, mais par un toboggan géant de plus de 200m de long qui conduisait à un grand matelas gonflable de 10m, situé dans un bunker à 6m de profondeur.
Ce toboggan occupait le grand tuyau du bas.

La légende raconte que ce toboggan était un des passe-temps favori des ouvriers sur le site, à en juger par les centaines de traces de pas qu'on retrouvait sur le matelas chaque semaine pendant les inspections!
Le record fut de 11 personnes en simultané dans le toboggan.

Pendant le vol, plusieurs solutions étaient présentes pour sauver l'équipage en cas de problème sur Energia. Tout d'abord les sièges éjectables, au nombre de 4, furent tout d'abord testés sur une maquette du cockpit monté sur rails pour simuler son déplacement.

Les sièges étant conçus pour être enclenchés jusqu'à Mach 4.2, ils furent également montés à bord de plusieurs cargos Progress, où ils furent allumés à cette vitesse.
A la place des sièges, Buran pouvait aussi allumer 4 propulseurs à poudre qui l'éloignait d'Energia rapidement.

En cas de problème, quand les astronautes s'étaient éjectés, il était prévu que la navette, si elle n'a pas explosée, revienne se poser!
Pour cela, l'ancienne version OK-92 de Buran devait être équipée de deux moteurs d'avion!
(Ce sont eux qui dépassaient sur l'arrière)

D'ailleurs le gros moteur central était un propulseur à poudre, activé en cas d'urgence, servant de tour de sauvetage géante!
Le design d'OK-92 fut néanmoins abandonné, revenant ainsi vers le système de siège éjectable présent sur Buran, plus "classique".

Energiya était une fusée tellement grosse qu'elle posa un immense défi aux ingénieurs. Comment transporter son réservoir à Baïkonour?
Avant d'opter pour l'Atlante et le Mriya (An-225), on a tout d'abord testé... L'hélicoptère!
Ça devait être assez impressionnant à voir...

Finalement on conçu l'An-225 pour Enrgiya et Buran. D'ailleurs lors du vol de Buran au Bourget, on fut étonné de sa capacité à voler sous la pluie et dans les nuages, choses impossible pour son équivalente américaine et son Boeing-747, qui ne volait pas sous la pluie.

Energia fit deux vols. Et durant ses 2 vols, les moteurs de son 1er étage (RD-0120) étaient allumés 14 secondes avant le décollage. Pourtant ils devaient pouvoir s'allumer en 7 secondes chrono. C'est un ingénieur en chef qui décida de cette augmentation de durée, pour le tester.

Il argumenta cette décision par: "De toute façon on a pas besoin de tout ce carburant, Energia est plus que suffisante pour lancer Buran".
D'ailleurs les moteurs RD-0120 et RD-170 étaient conçus pour être réutilisables 10 fois, rappelons qu'Energia devait être réutilisée!

Les boosters étaient largués non pas un par un, mais par paire. C'est une minutes après leur séparation d'Energiya que les paires étaient séparées!
Ils utilisaient ensuite un parachute pour se stabiliser, de petits moteurs pour freiner et des pieds d'atterrissages pour se poser.

Pendant son 1er vol, Energiya n'avait pas de parachutes. Sur le 2ème, encore aujourd'hui, nous ne savons pas si la récupération a été tentée ou non.
Sur son 1er vol, il était prévu d'envoyer un simple masse de simulation remplie d'eau, avant d'être remplacée par Polyus.

Cette masse de simulation aurait dû être ouverte en orbite pour étudier le comportement des fluides dans le vide.
On se serait alors retrouvés avec une bulle d'eau géante de 8t en orbite! Finalement, lancer Polyus était peut-être mieux 😅

Parlons maintenant de systèmes créés pour Buran auxquels on aurait pas forcément pensés, mais qui sont au final assez logiques au vu du programme.
Tout d'abord un bras robotique soviétique, qui pouvait être piloté manuellement, mais aussi de manière complètement autonome!

Egalement, le MMU soviétique, fut créé et même testé dans l'espace pour les EVA des cosmonautes sur Buran!
Malheureusement, il ne vécu pas vraiment plus longtemps que le programme Buran et fut vite rangé dans les cartons.

Il fut aussi développé des combinaisons intra-véhiculaires pour Buran, les Strizh ("rapide" en français).
Malheureusement, Strizh ne fera aucun vol dans l'espace.

Revenons un peu plus sur l'architecture de Buran, qui présente des particularités. Déjà, vous l'aurez peut-être remarqué, mais les zones blanches de Buran étaient recouvertes de tuiles, là où la Shuttle ne l'était pas! Elles étaient censées mieux protéger du rayonnement solaire.

On distingue bien les zones couvertes de tuiles de celles qui ne le sont pas à l'atterrissage, vous voyez la zone "sale" le long de la navette?
Juste derrière le drapeau URSS, la zone change d'un coup de couleur, voilà la délimitation de ces tuiles!

En tout, Buran était recouverte de plus de 40 000 tuiles, soit plus de 10 000 de plus que sa cousine américaine!
De plus, les tuiles thermiques étaient disposées sur une sous-couche, ce qui fait que si l'une d'entre elle s'arrachait pendant la rentrée, la navette aurait résisté.

Autre anecdote, la "porte" d'entrée de Buran, une fois fermée, servait également en orbite... De radiateur thermique pour dissiper la chaleur. Un porte-radiateur, il fallait oser!

Buran présentait aussi la particularité d'utiliser pour ses deux moteurs orbitaux et ses RCS de l'oxygène liquide et du syntin, carburant aussi utilisé sur Soyuz-U2 à l'époque.
Cela présentait un désavantage, le moteur pouvait ne pas s'allumer, et coincer Buran en orbite!

Finissons par les démonstrations en vol de l'atterrissage d'une navette spatiale. Avant la création d'OK-GLI, les soviétiques ont décidé d'utiliser toute une ribambelle d'avions différents pour tester l'atterrissage, notamment un certain Tupolev Tu-144, utilisé à deux reprises.

Ils faisaient monter l'avion à 10km de haut, puis coupaient tout les moteurs avant de piquer à presque 60° vers le sol!
D'autres avions furent utilisés, Sukhoï-27, Tupolev Tu-22, Ilyushin-62...

J'en ai fini avec ces quelques anecdotes/histoires sur Buran, je réserve la suite pour plus tard ;)
J’ai réalisé à ce jour deux autres thread sur le programme Buran:
- Résumé de l'histoire du programme:

https://twitter.com/ClosertoSpace/status/1167539202118041601

- Histoire de Polyus:

https://twitter.com/ClosertoSpace/status/1168492444540952577

Je ne peux que vous encourager à en apprendre plus sur le spatial soviétique, sur le site Buran.ru, ou sur le site de @nicolas_pillet , kosmonavtika.com par exemple.

Sur ce, amis de Buran, à bientôt!

[Fin de thread]

@nicolas_pillet Il reste tant à dire.
Parler du pas-de-tir qui retenait littéralement Energiya de s'envoler pendant ses mises à feu statique, d'Energiya qui n'avait que 3 moteurs au lieu des 4 sur son 1er étage pendant un test, ou des minis Buran utilisés pour des tests...