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[✨Les lectures (surtout) féministes de Noël ⤵️⤵️⤵️] J’avais envie de profiter de ce mois pour parler des lectures qui m’ont accompagnée, outillée, entourée ces dernières années. Des lectures que j’ai envie de partager, sans forcément trouver le temps ni les mots.
A la base, il y a eu ces dernières années des ‘choix de vie’, comme on dit. S’extirper d’un modèle bien établi et tâtonner pour (re)construire. D’où l’envie de trouver des récits d’autres expériences et d’y lire la traduction de luttes ou de valeurs dans des vies quotidiennes.
L’envie aussi de trouver des textes qui procurent à la fois de la rage, l'envie de se battre, mais aussi de la joie, du réconfort. Pour continuer d'observer, d'étudier, de s'organiser, de lutter, sans être envahie par l'épuisement, ou pire encore.
J’y ai trouvé des livres compagnons, qui donnent le sentiment d’être entourée, de ne pas être seule en chemin. Des textes qui trouvent les mots justes et forment une base commune qui soutient, dans laquelle on peut venir puiser du sens, des mots, du réconfort, du courage.
Le premier c’est (bien sur!) Peau - A propos de sexe, de classe et de littérature (Dorothy Allison). J’en ai déjà parlé (). La manière dont les textes entremêlent politique, luttes, récit de vie, sexualité et réflexion sur l’écriture est merveilleuse.
Sûrement le livre que j’ai le plus relu ces dernières années. C’est l’un des premiers à m’avoir donné ce sentiment d’accompagnement et de soutien, et qui a suscité l’envie de m’entourer un peu plus souvent de lectures comme celle-ci, d’avoir une petite communauté de textes.
(C’est d’ailleurs ce livre de Dorothy Allison qui m’a rappelé à quel point j’aimais écrire, à quel point c’était une pratique vitale depuis 20 ans. Qui m’a rappelé que l’écriture académique était loin d’être le seul format existant, et qui m’a donné l’envie de m’y remettre.)
Et quand la lecture de Peau se termine et vous laisse désoeuvré-e, il y a l'Histoire de Bone. Tout aussi bien écrit. Des souvenirs d'enfance, les femmes de la famille, la pauvreté, les morts violentes, les rapports de classe, les abus, la violence des hommes...
Tiens, aujourd'hui, je vais essayer d'expliquer pourquoi j'aime autant "Living a Feminist Life" de Sara Ahmed. (comme l'écrit bell hooks sur la couverture : Everyone should read this book.) ⤵️⤵️
Je pourrais presque arrêter ma liste de livres ici tant chaque paragraphe de ce livre est un compagnon. Je passe ma vie à le recommander. L’écriture de Sara Ahmed est géniale, c’est à la fois poétique et d’une précision effarante pour décrire les situations et les sensations.
"Living a Feminist Life" : en voilà un beau programme quand on cherche de lectures compagnes sur les relations entre luttes et vie quotidienne. Sara Ahmed traite ici du "devenir féministe" comme d’un processus. Des sensations. Un déclic. Une transformation. Des rencontres.
Le féminisme y est envisagé comme une manière d’être au monde, comme un ensemble de sensations, voire comme une intrusion parmi nos sens : quelque chose ne va pas. Et une fois la perception acquise, on ne peut plus "ne pas voir".
Mais aussi comme une manière de mettre des mots sur des situations vécues. De pouvoir les réinterpréter, non pas seulement comme un vécu individuel, mais comme des situations systémiques, déjà vécues et pensées par d’autres.
Le chapitre dont je n’arrête pas de parler c’est « On Being Directed », qui aborde les modes de vie (et notamment le mode de vie hétéro-conjugaliste) par la métaphore de la voie, du chemin : ce qui se parcourt, ce qui oriente et maintient dans une direction, vers un but.
Comme l’indique Sara Ahmed : "To be assigned a sex in this binary system is a way of being directed toward a future". Nous sommes digiré-es vers un futur censé nous permettre d’être heureux-se. Mais… "Some things, more than others, are assumed to lead to happiness".
Cette métaphore de la route est particulièrement bien pensée. Elle présente la "contrainte à l'hétérosexualité" (A. Rich) comme une sorte d'infrastructure routière / de système de circulation [traffic system] ET un système de soutien [support system].
"To sustain a direction is to support a direction. The more people travel upon a path, the clearer the path becomes. Note here how collectivity can become a direction: a clearing of the way as the way of many."
(ces mots, mais ces mots ❤️)
Elle propose donc de penser le mode de vie hétéro-conjugaliste comme un chemin bien balisé, bien entretenu, dont "la voie est maintenue dégagée par le travail collectif [...] et vous bénéficiez du soutien des autres lorsque vous suivez la voie."
Et c'est là la difficulté du "devenir" féministe, du "devenir" queer : quitter ce chemin bien balisé, c’est quitter un système de soutien. "C'est quitter un monde où votre être est soutenu"
Ce chapitre contient exactement les mots dont j’avais besoin pour penser ma situation et mes bifurcations, et ces paragraphes n’arrêtent pas de résonner dans ma tête.
Je me souviens de ce moment de ma vie où c’est devenu très clair : je vivais sur des bases rassurantes parce qu’elles étaient connues, reconnues et soutenues, mais ça ne me convenait pas. D’un seul coup, j'en percevais le revers et les contraintes.
La seule image que j’avais en tête à cette époque pour expliquer ce qu’il se passait, c’était que j’avais un gros marteau entre les mains (génération Nicky Larson...) et que je devais détruire les piliers un peu branlants sur lesquels j’essayais de tenir coûte que coûte.
Et pourtant, avant, j’avais vécu 7 ans seule, c’était mon mode de vie principal. Mais cette "vie seule" avait du sens au sein d'un chemin tracé : des études, un travail, un salaire, donnant accès à "une autre vie" (qui marque l’entrée dans la catégorie des "adultes responsables")
Il m’a fallu ce moment de "destruction" suivant le "déclic féministe" pour comprendre que la "vie seule" puis, plus tard, la vie en communauté pouvaient exister en tant que modes de vie, et pas comme une étape transitoire vers "la vraie vie".
(et là, je repense à ces textes publiés par le collectif le SEUM en mars 2018)
leseumcollectif.wordpress.com/2018/03/09/seu…
C’était un moment puissant, bien que complètement flippant. Rebrousser chemin. Se reconstruire. Emprunter d’autres voies moins dégagées. Se frayer un chemin ailleurs.
"Feminism is diy […] To get ready often means being prepared to be undone"
(à nouveau, les mots justes)
Et j’ai bien évidemment perdu dans le même mouvement un système de soutien. Par exemple, dans certains cercles, j’avais perdu le statut d’adulte responsable et je n’avais plus le droit à la parole ou à l’expression de mes opinions.
J’étais balayée par un "Tu ne peux pas comprendre, tu verras plus tard". C’est à ce moment là que j’ai compris que la maturité sous-entendue dans ce "plus tard" n’avait pas grand-chose à voir avec l’âge, mais beaucoup plus avec la reproduction de ce mode de vie qui "va de soi".
D’autres m’écoutaient avant de commenter : "oui mais MOI, je VEUX construire quelque chose". Là aussi, la métaphore de la route : quitter un modèle hétéro-conjugaliste, c’est être vue comme arrêtée en chemin, au bord de la route. Un accident de parcours. Je ne vais nulle part.
Mais heureusement, comme l'indique Sara Ahmed, ce "devenir féministe / queer" c'est aussi la création d'autres réseaux de soutien. "Queer & feminist worlds are built throught the effort to support those who are not supported because of who they are, what they want, what they do".
La question de la fragilité ("I want to consider fragility as the wear and tear of living a feminist life") et de la survie sont centrales dans le livre, ce qui amène aussi Sara Ahmed à proposer un kit de survie.
"Survival thus becomes a shared feminist project. (...) Feminism needs those of us who live lives as feminists to survive; our life becomes a feminist survival"
Une partie de ce kit de survie est dédiée aux livres. "It is often books that name the problem that help us handle the problem" (D’ailleurs, tout au long de Living a Feminist Life, Sara Ahmed s’appuie sur des textes et des films compagnons, qu’elle mobilise pour son analyse)
Lire des livres féministes, c’est "la sensation de ne pas être seule. Que nous n'étions pas seule". C'est un peu comme "se faire des ami-es, réaliser que d’autres se sont retrouvé-es dans la même situation avant nous"
(Une partie sur kit de survie est également consacrée aux animaux, et je pourrais enchaîner 2h là dessus, et finir par vous parler de mes poules et de mes chats mais je vais m'arrêter là 😅)
Bref. Ce livre est magnifique. On le veut traduit partout.
Je profite de ce fil pour pointer un article sur la façon dont les œuvres de fiction féministes et les personnages queers, peuvent nous permettre de nous construire et de "mettre des mots" sur nos identités : longreads.com/2019/12/19/in-… (merci @Stu_Fiction pour le partage!)
@Stu_Fiction "When stories center and focus on a group of women living in community, supporting each other and truly thriving, this kind of energy and potential springhead of power becomes visible, tangible."
@Stu_Fiction "that’s the power of a story that pulls back the curtain on your own life, that shows you who you are, and who you could be."
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