Thread by @Fabiensapiens

Hey, gamin !
Avant de mettre ta vie, ton âme et tes économies dans ton projet de permaculture végane…
Çà te dit un thread absolument passionnant sur l’histoire de l’agriculture ? Précisément sur l’histoire de la fertilisation ?

Allez, suis-moi.⬇️⬇️⬇️

La fertilisation, c’est le problème n°1 de l’agriculture. Sans fertilité, on ne parle plus de rien, et le problème est né avec l’agriculture. Au début, on règle ça assez facilement…

Pendant quelques milliers d’années, l’agriculture se pratique sur abattis-brûlis. On défriche un gros bout de forêt, on brûle tout ça, c’est fertile deux ou trois ans. Ensuite, on part un peu plus loin, et encore un peu plus loin, et on refait la même chose chaque fois.

Au bout de quelques décennies, on est revenu au point initial, et si l’intervalle est assez long, la forêt est suffisamment reconstituée pour recommencer. D’un point de vue fertilité, ça marche tant qu’on n’est pas trop nombreux.

Parce que quand la population augmente, la forêt n’a plus le temps de se reconstituer. Il faut passer à autre chose. C’est la révolution agricole de l’antiquité. On change de tactique.

Là, on sépare le territoire agricole en deux zones : l’ager, le champ cultivé, qui a donné le mot agriculture. Et le saltus, qui est la zone de pacage des animaux, bien plus grande, semi-sauvage.

L’astuce, c’est de laisser les animaux pacager dans le saltus. Le soir, on les rentre du côté de l’ager, que leurs déjections viennent fertiliser. Ca s'appelle un transfert de fertilité. Couplé aux premiers outils aratoires et à la traction animale, ça marche pas trop mal.

Mais là encore, la méthode a ses limites, et quand la pression démographique atteint un certain seuil, le système s’appauvrit. On peut se demander quelle part la chute de fertilité a eue dans l’effondrement de l’empire romain, je laisse la question ouverte.

Au moyen âge, se répand un outil extraordinaire : la faux. Qui permet (en gros) de doubler la fertilité. Comment ? Eh bien, le problème du pâturage, c’est que l’herbe, ça pousse pas également dans l’année. A la belle saison, il y en a plus que le bétail ne peut pâturer.

Et l’hiver, il n’y en a pratiquement plus. Ca limite fortement les capacités d’élevage. Pour ça, on fait des réserves à la belle saison : le foin. Oui, mais à la faucille, le foin, c’est compliqué à récolter. Alors qu’avec une bonne faux…

On peut dès lors gérer beaucoup plus efficacement le fourrage. Pas de surpâturage à la mauvaise saison, pas de pertes à la bonne. Du coup, beaucoup plus de fumier. Entre l’an 1000 et 1300, la population double en Europe de l'ouest.

On atteint une nouvelle limite. Les rendements baissent. Famine, peste noire, guerre de cent ans… La population s’effondre. Paradoxalement, ça fait remonter le niveau de vie, les moulins se multiplient. La fin du moyen-âge est riche et prépare la renaissance.

Mais d’un point de vue agricole, la renaissance n’est pas facile. 300 ans sans réel progrès.
Si, un progrès : dans les régions méditerranéennes, des états lancent de grandes campagnes de plantation d’arbres fruitiers.

En Corse, Gênes lance la coltivazione au 17ème siècle, enjoignant à chaque foyer, chaque « feu », de planter plusieurs arbres fruitiers, des châtaigniers. L’arbre, c’est important, et il est une clé de la révolution agricole suivante. Avec la prairie.

Au moyen-âge, on pratiquait la jachère. Au 18ème siècle, on comprend que ce n’est pas optimal. On remplace les jachères par des prairies et des légumineuses fourragères. Rotation légumineuses / céréales, c’est le principe de l’engrais vert.

Sauf que ces légumineuses sont principalement fourragères, le but est d’avoir des animaux de labeur, et leur fumier. Et ça marche bien. Mais l’arbre ?

Eh bien, c’est le moment où on crée les systèmes bocagers. L’arbre, omniprésent par les haies, les arbres fruitiers dans certaines pâtures, permet, par ses racines permanentes, d’empêcher que les énormes quantités de nutriments du fumier soient lessivées.

L’arbre profite de la fertilisation et la régule (ça et deux ou trois autres trucs). L’ensemble agro-sylvo-pastoral obtenu est terriblement performant et durable. Et il permet la révolution industrielle. Pour le meilleur et pour le pire.

Révolution qui envoie des millions de gens dans les villes. Qu’il faut nourrir. On le fait partiellement par des systèmes de maraîchage péri-urbain ultra-performants, qui se basent sur l’utilisation du fumier, notamment par le système de la couche chaude.

Du fumier et des déjections humaines, massivement utilisées. Qui asphyxient les sols par excès d’azote. On tente à l’époque de compenser en brisant des tessons de poteries, j’ai eu l’occasion de travailler sur ces sols, 100 ans après leur abandon.

Le 20ème siècle voit l’apparition de la fertilisation de synthèse que nous connaissons, et qui a un peu écrasé tout le reste. Reste que tenter de retourner vers quelque chose de plus agroécologique nécessite (au moins) de connaître toute cette histoire…

Et pour aller plus loin, "Histoire des agricultures du monde", de Mazoyer et Roudard...

J'ajoute à ce thread un lien vers une pages d'études scientifiques sur la question de l'élevage, les problèmes qu'ils pose et sa complexité.

anthropogoniques.com/probleme-de-le…