,
20 tweets,
5 min read
Read on Twitter
Vous êtes plusieurs à me demander mon avis sur l'annonce de l'abandon, par le CEA, du projet de réacteur nucléaire de quatrième génération ASTRID. Je vais très vite en avoir marre de répondre 10x, alors je centralise :p
Ce n'est pas vraiment une nouveauté, l'info tournait depuis plusieurs mois, y compris de sources assez officielles. Je suppose que la nouveauté d'hier, c'est la diffusion d'un communiqué de presse sur le sujet.
Qu'est-ce qu'Astrid, déjà ? C'était un projet de petit réacteur nucléaire de recherche, de 600 MW à la base (nos plus petits réacteurs EDF font 900 MW, l'EPR c'est 1600 MW), puis, je crois, rabaissé à 200 MW.
Il s'agissait d'un réacteur à neutrons rapides (RNR) refroidi au sodium liquide (Na), donc un descendant de Superphénix, même si, par sa taille (et sa localisation), on se rapproche plutôt de Phénix.
En quelques mots : dans les réacteurs actuels, le combustible est retraité pour extraire le combustible, faire du MOx, qui est ensuite utilisé lui-même comme combustible (recyclage, 10% du combustible est du MOx aujourd'hui).
Ce MOx, par contre, après usage, n'est ni retraité, ni recyclé. Parce que la qualité du plutonium se dégrade au fur et à mesure des passages en réacteur, et dans nos réacteurs à eau, ça devient un peu trop galère.
Et les RNR n'ont pas ce problème, et permettent donc de recycler à peu près indéfiniment le plutonium, tout en en produisant autant, si ce n'est plus, qu'ils n'en consomment.
Donc les RNR sont le chemin vers une économie circulaire quasiment parfaite de la matière nucléaire. Tout en produisant moins de déchets, ayant un meilleur rendement, étant plus favorables aux usages secondair (ex : cogénération...)
À noter que la génération IV contient six filières de réacteurs différentes, dont le RNR-Na, qui est depuis toujours privilégié en France et est le concept le plus avancé dans le monde.
fr.wikipedia.org/wiki/Génératio…
fr.wikipedia.org/wiki/Génératio…
Si Astrid a été abandonné, c'est essentiellement pour des questions budgétaires : actuellement, l'uranium ne vaut rien, donc l'économie circulaire n'a pas d'intérêt. Et pour une raison qui m'échappe, on a décrété que ce concept,
qui s'inscrit à mes yeux dans un cadre de RECHERCHE, devait être rentable. Forcément, des réacteurs innovants, un cycle du combustible plus avancé, c'est plus coûteux. Et sans gain sur l'uranium, non, évidemment, ce n'est pas rentable !
Donc dans un secteur aussi stratégique, aujourd'hui et demain, que l'énergie ; plus particulièrement dans une filière aussi long-termiste (on se comprend) que le nucléaire, on décide d'abandonner la recherche sur les technologies futures...
...sous prétexte que ça ne sera pas rentable à court terme. Ça me rend fou. Vous vouliez mon avis, le voilà : c'est une dinguerie. C'est un terrible manque de vision à long terme qui apportera quelques économies aujourd'hui, certes, en repoussant des dépenses à plus tard.
La filière nucléaire française, et notamment la filière sodium, reste un des poids lourds mondiaux. C'est dommage d'inscrire « suiveurs » comme stratégie pour les prochaines décennies.
Bah. Avec un peu de chance, le jour où on aura vraiment besoin de ces réacteurs et de « fermer le cycle » du combustible, on pourra acheter des modèles chinois, russes ou US.
J'ajoute : quant aux écologistes qui se réjouissent de cet abandon... Ils applaudissent l'affaiblissement de la recherche française, d'une carte en moins dans la transition énergétique, de l'augmentation de la quantité et de la radiotoxicité des déchets radioactifs,
et d'une suspension à durée indéterminée de nos chances de faire significativement progresser le recyclage et apprendre à se passer des imports d'uranium et des mines qui font 80% de l'impact environnemental du nucléaire.
Aimez-les.
Aimez-les.
Poke @pbeyssac @Remilitaire @bdunogier @Clouchicloucha qui m'ont demandé mon avis et à qui j'ai eu la flemme de répondre sur le coup :p
Pour compléter sur nos amis écolos, un peu de cynisme :
