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Continuons à parler de l'inondation de la centrale nucléaire du Blayais en 1999. Ceci est une partie 2, la première partie était là :
On va reprendre l'incident réacteur par réacteur, dans l'ordre de complexité croissante des événements. En commençant donc par les réacteurs 3 et 4, relativement épargnés, puis le 2, plus sévèrement touché, et enfin le réacteur 1, qui a été le plus malmené.
Pour commencer, le réacteur 3, donc. À l'État Initial (EI) ce réacteur était en maintenance. Donc arrêté depuis un bon moment, circuit primaire à basse pression, basse température : on parle d'« Arrêt Normal » (AN).
Il était par ailleurs refroidi par le circuit de Refroidissement Réacteur à l'Arrêt (RRA). Donc un état sûr facile à maintenir : une faible puissance résiduelle à dissiper, et c'est tout.
Le 27 décembre à 18h30, tout le site perd son alimentation électrique externe auxiliaire, en 225 kV. Mais l'alimentation électrique principale, en 400 kV, est toujours en service, donc pas de problème.
Et pour le réacteur 3, on reste dans le même état jusqu'à la récupération de l'alimentation auxiliaire, le lendemain matin.
Le réacteur 4, à l'EI, il était en fonctionnement normal, à 100% de sa puissance nominale (PN).
Et de 18h30 jusqu'au lendemain, il a aussi subi la perte d'alimentation auxiliaire.
Par contre, en plus de ça, il a aussi perdu, à 20h50, l'alimentation extérieurne principale ! Ce qui veut dire que le réacteur, et notamment les pompes du circuit primaire et secondaire, n'étaient plus alimentés en électricité.
À ce moment, le réacteur (profitant de l'inertie des pompes primaires et du circuit secondaire) a tenté un îlotage : réduire drastiquement sa puissance, sans s'arrêter, pour s'auto-alimenter et continuer de fonctionner, isolé du réseau. Comme sur une île, d'où le terme.
L'îlotage, c'est une manoeuvre difficile, qui a échoué : un paramètre du réacteur a dû franchir un seuil de sûreté, ce qui a déclenché l'Arrêt Automatique du Réacteur (AAR) par la chute de toutes les barres d'absorbants neutroniques dans le coeur.
Plus de courant, ce sont donc les groupes diesel qui ont démarré et pris en charge l'alimentation des systèmes du réacteur pour continuer à assurer le refroidissement, et notamment l'évacuation de la puissance résiduelle, élevée dans les heures qui suivent l'arrêt.
Le réacteur était donc en situation, si je ne me trompe pas de terme, d'« arrêt secouru ». Toutefois, l'alimentation externe 400 kV a été récupérée 40 minutes plus tard, et puisqu'elle était stable, à 22h20, ils ont arrêté les diesel.
Le réacteur s'est donc retrouvé en situation d'arrêt normal, ses systèmes alimentés par le réseau extérieur.
Ensuite, il y a ambiguïté dans mes sources : elles disent qu'ils ont redémarré le réacteur à 1h20 du matin, pour contribuer à la stabilisation du réseau de la région qui en avait bien besoin (la tempête dévastait alors le réseau de transport et de distribution de l'électricité).
Mais, dans la même source, quelques lignes plus loin, il est dit que le réacteur était « prêt à redémarrer ». Donc c'est pas clair... On va supposer qu'il a redémarré à 1h20, comme indiqué.
Concernant le réacteur 2 à présent, ça commence comme le réacteur 4 : EI à 100% PN, perte 225 kV, puis perte 400 kV, îlotage raté, AAR, passage en arrêt secouru sur les groupes diesel.
Récupération du 400 kV deux heures après le réacteur 4, et arrêt des diesel pour passer dans un stade d'arrêt normal alimenté par l'extérieur à minuit 20. Pas de redémarrage pour celui-ci, toutefois.
Car vers minuit, les eaux avaient noyé le sous-sol du bâtiment combustible, et notamment les pompes du systèmes Réacteur - Injection de Sécurité à Basse Pression (RISBP), et celles de l'Aspersion de Secours de l'Enceinte (EAS).
Ce sont deux systèmes inutiles en fonctionnement normal, donc le réacteur aurait pu, théoriquement, démarrer sans eux. Mais ce sont des systèmes capitaux dans la gestion des accidents de type brèche sur le circuit primaire.
Donc aussi improbable soit la survenue d'un accident (type Three Mile Island par exemple) pile à ce moment-là, il n'était pas question de redémarrer sans avoir récupéré ces systèmes là - ce qui prendra plusieurs jours.
Enfin, le réacteur 1 : EI à 100% PN, perte 225 kV, mais pas de perte du 400 kV (comme le réacteur 3). Il a pu continuer à fonctionner normalement jusqu'à minuit 30.
À cette heure là, des débris charriés par les eaux ont bloqué le refroidissement du Groupe Turbo-Alternateur (GTA), autrement dit, la turbine, le condenseur, l'alternateur... Bref, la partie "production électrique" de la centrale. Résultat : AAR.
Mais les systèmes restent alimentés par le réseau 400 kV, donc pas de problème, pas besoin de démarrer les groupes diesel, le réacteur reste en sûreté.
Vers 2h, ils constatent que dans ce réacteur aussi, l'inondation du bâtiment combustible a noyé les pompes RISBP et EAS.
Et vers 7h du matin, deux pompes SEC sont également noyées. Le circuit SEC, c'est un peu particulier à expliquer : dans une tranche nucléaire, le circuit primaire, secondaire, etc., vous connaissez. Vous savez comment on refroidit le coeur.
Par contre, tout ceci dépend de tas d'organes, notamment de pompes, de vannes, etc. qui doivent aussi être refoidis, parce que leurs moteurs chauffent. Ce refroidissement est assuré par le circuit Réacteur - Refroidissement Intermédiaire (RRI).
Celui-ci est un peu l'équivalent du secondaire, mais pour les petits composants : il est en circuit fermé et est au contact de l'eau primaire, donc il n'est pas censé être contaminé, sauf accident.
Et ce circuit RRI, il faut aussi le refroidir, et c'est là le rôle du circuit d'eau brute SECourue (SEC, me demandez pas la logique de l'acronyme). Ce circuit SEC est l'équivalent du tertiaire : c'est un circuit ouvert, qui rejette ses eaux dans l'estuaire.
Pour chaque tranche, pour des raisons de redondance, le SEC est composé d'une voie A et d'une voie B indépendantes, et sur chaque voie, on a deux pompes SEC, chacune suffisant à fournir tout le débit nécessaire.
Il y a donc 4 pompes SEC par réacteur, et on en a perdu deux sur le réacteur 1 à ce moment.
Puis, dans la matinée, pendant qu'on pompait l'eau jusqu'en début d'après-midi, on récupérait l'alimentation 225 kV. Ensuite, ce furent des opérations de pompage et réparation pendant plusieurs jours jusqu'à avoir récupéré tous les circuits.
Voilà donc pour la chronologie des événements au coeur de l'incident. Maintenant, la grande question : à quel point est-on passé près de l'accident, l'accident grave, majeur, la catastrophe, l'éradication du quart Sud-Ouest de la France ?
D'abord, on pense au risque de perte totale d'alimentation électrique. Ben oui, de nos jours, on est formatés, moi le premier, par ce qui s'est passé à Fukushima.
Mais concernant les tranches 1 et 3, on n'a même pas perdu les alimentations extérieures, pour la tranche 4 on ne les a même pas perdues deux heures, et pour la tranche 2, on les a perdues 3h30.
Cela veut dire que même si l'on avait aussi eu une perte des deux groupes diesel sur la tranche 2 ou la tranche 4, que l'on n'avait pas pu mettre en service de source d'ultime secours, ni trouvé un moyen pour s'alimenter sur le réseau 400 kV via une autre tranche...
... on aurait probablement pas eu d'accident sérieux parce que les réacteurs sont pensés pour survivre quelques heures sans électricité tout de même (thermosiphon, et ceatera, j'en ai déjà parlé dans un thread dédié).
Et pour ceux qui préfèrent les billets de blog que les threads : doseequivalentbanana.home.blog/2019/02/01/lac…
Mais ces questions ne se posent pas puisque les diesel ont assuré leur rôle, en fait. Donc la perte électrique n'est pas le point qui mérite notre attention.
On va plutôt regarder les défaillances des différents systèmes noyés par les inondations... Les événements encadrés en violet sur la frise chronologique.
À commencer par le noyage des pompes RISBP/EAS, parce que j'en ai déjà parlé. À ce moment, on a perdu des dispositifs importants pour gérer un accident grave, lui-même rendu improbable, de base, par conception, et ce à l'échelle de la vie de la centrale.
À fortiori, il était encore plus improbable qu'un tel événement ait lieu pile à ce moment là, sur cette plage de quelques heures. Si je transpose ça dans une démarche de défense en profondeur, c'est comme si on avait perdu les niveaux 1 et 4, mais que 2 et 3 avaient tenu.
De manière plus imagée, sur le siège d'un château médiéval, les armées ont réussi à prendre notre territoire et arriver jusqu'à notre château (perte de la première défense). Et que des espions avaient réussi à incendier le donjon (perte de la quatrième défense).
Sans pour autant que les remparts n'aient été détruits/pris, ni même que les forces défensives n'aient été mises en danger (niveaux de défense 2 et 3). L'image vous parle ? Ainsi, la perte du donjon n'est pas un problème dans la mesure où on l'a ensuite vite reconstruit.
Bref, ça serait excessif de dire qu'on a manqué perdre le château, vous en conviendrez ^^
Quant à la perte du refroidissement du groupe turbo-alternateur, ça empêche la centrale de produire du courant, mais en termes de sûreté, ça n'a aucune conséquence.
Il ne nous reste plus qu'une chose à regarder : la perte des pompes SEC.

Ça sera l'objet d'une troisième partie de ce thread ;-)
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