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Session 3 du #RT14 (Sociologie des arts et de la culture) au congrès @afs_socio, sur les catégories savantes et profanes.
#AFS2019
@afs_socio On commence avec Clémence Perronnet (@cle_perronnet ). Dans sa thèse sur "la culture scientifique des enfants en milieux populaires" elle fait le choix de considérer les sciences comme une culture, qui se développe dans des musées, dans des lieux, des objets.
Traiter les sciences avec la boîte théorique propre à la sociologie de la culture, en portant son regard aux sorties scientifiques, sur la consommation des productions écrites ou audiovisuelles, ainsi que les pratiques ludiques des sciences.
Objectif : saisir la distribution inégale de ces capitaux scientifiques, analyse la dimension scientifique du capital culturel.
Méthodologie : enquête longitudinale auprès d'une cinquantaine d'enfants d'un quartier populaire de Lyon. 2 entretiens individuels avec chaque enfants.
Également le suivi d'un dispositif éducatif "Tous égaux devant les sciences" auquel participaient les 2/3 des enfants enquêté-es. Contexte de quartiers populaires et d'établissements du réseau d'éducation prioritaire.
"Modes d'appropriation" en sociologie de la culture. Provient de la socio de la réception et perception des oeuvres d'arts (chez P. Bourdieu dans 'Un art moyen'). Distinction entre des dispositions esthétiques et pratiques dans la manière d'être vis-à-vis des oeuvres photos.
Chez Lahire ('La raison des plus faibles'), il y a des appropriations éthico-pratiques, dans laquelle on est ancré dans la réalité du texte et son expérience à soi ; tandis que l'appropriation esthétique est caractérisée par le primat de la forme sur la fonction...
... mais aussi de la distantiation vis-à-vis de l'oeuvre. A partir des années 90 on a donc une socio de la culture qui part de cette distinction et la développe. L'un des plus connus est celui de G. Mauger, C. Poliak et B. Pudal ('Histoires de lecteurs, 1999).
Ils détaillent 4 modes de lecture :
1. "Pour s'évader", lecture de divertissement
2. "Pour apprendre", lecture didactique
3. "Pour se parfaire", lecture de salut
4. "Pour lire", lecture esthète.
Une fois arrivée sur le terrain, elle s'est rendue compte qu'on avait chez les enfants en train de faire des sciences des appropriations éthico-pratiques des sciences, que l'on peut décrire de la même manière que les appropriations des textes.
Cela signifie que, comme pour la lecture, les enfants cherchaient dans les sciences des principes très clairs de ce qui est bien/pas bien (principes éthiques) et des principes pratiques. Comme pour la lecture, elle distingue 4 appropriations des sciences :
1. Usage pragmatique des sciences (pour acquérir un savoir-faire)
2. Usages didactiques (pour apprendre)
3. Usages scolaires (pour réussir à l'école)
4. Usages de salut (pour se construire).
Plusieurs exemples pour ces différents cas :
1/ L'usage pragmatique : apprendre la circulation du courant elec, par ex, est considéré par les enfants comme "outil" que l'on pourrait utiliser chez soi ; surtout chez les jeunes garçons, qui pensaient apprendre à devenir meilleur dans leur futur métier (technique notamment).
2 et 3/ Dans les usages didactiques et scolaires, il y a plutôt des filles.
4/ Faire des sciences pour se construire est plutôt chez les jeunes filles. C'est un dépassement de faire des sciences pour apprendre : ça va nous permettre d'avoir une vie meilleure, d'être + capable.
En revenant sur le terrain de la classification savante, on peut alors penser une compétence scientifique, à l'instar de la compétence artistique chez Bourdieu. Chez lui, toute œuvre est un message, dès lors la comprendre est un "acte de déchiffrement".
Cela veut dire qu'une œuvre culturelle est produite selon un code et que pour le comprendre il faut le même. Cette définition peut sembler évident pour un tableau, mais c'est + compliqué pour les sciences en classe ou produits culturels scientifiques.
Par exemple : que pourraient-être des rapports savants aux sciences ? Des situations où ils ont le code et comprennent les sciences (ce qui n'est pas le cas des enfants des milieux populaires étudiés). Une appropriation esthétique des sciences, qu'est-ce que c'est ?
Le rapport esthétique "exclut l'identification au profit d'une perception selon des critères internes au champ littéraire", le rapport gratuit et désintéressé ("l'art pour l'art"). Le rapport légitime, savant, aux sciences est lui dans ce cadre là.
Ex: un des élèves s'insurge que l'on mesure la circonférence de la Terre avec une mesure géométrique alors que 'il y a des satellites' et qu'on 'le connait déjà'. Dans ce cas on fait des sciences pour faire des sciences. Or pour les enfants qui sont dans ces milieux sociaux...
... cela n'a aucun sens de le faire avec des outils inappropriés. Les programmes de vulgarisation pour les enfants sont en effet codés selon ce rapport désintéressé et esthétique à l'art. D'autres travaux ont mis cela en évidence :
- B. Zarca, "L'ethos professionnel des mathématiciens" (RFS, 2006)
- P. François et N. Berkouk "Les concours sont-ils neutres ? Concurrence et parrainnage dans l'accès à l'Ecole polytechnique" (Sociologie, 2018).
En conclusion, les travaux de Clémence Perronnet permettent de voir que les dispositions éthico-pratiques aux sciences sont majoritaires en milieux populaires. De plus, les thématiques et ateliers proposés les maintiennent dans ce rapport au sens.
Dans la soutenance de sa thèse, C. Perronnet s'est vue objectée le fait que sa typologie ne marchait pas pour les sciences. Un collègue mathématicien s'est cependant outré, car pour lui c'était évident qu'un rapport esthétique aux sciences existe.
Cela pose plusieurs questions : pourquoi en tant que sociologue a-t-on mis autant de temps à inclure la dimension scientifique du capital culturel ?
@afs_socio On poursuit avec Pierre Bataille (@pierre_bat) : "Classer les musiques populaires: du genre musical au style professionnel. Quelques réflexions épistémologiques à partir du cas des musicien·ne·s suisses romandes." (avec Marc Perrenoud).
Différentes modalités de la mise en marché des musiques qui produit des classements, lesquels permettent une meilleur orientation et de faire vivre des "niches". Les sociologues sont aussi souvent des mélomanes et il faut donc savoir se défaire de ces représentations.
Question qui traverse le travail : "quelle pertinence du classement par genre musical pour rendre compte des pratiques professionnelles et de la segmentation des espaces musicaux professionnels ?"
Une approche des artistes ordinaires et des professionnels (qui vivent de leur musique). Enquête 'Musician's LIVES', recherche mixte sur les carrières et conditions de vies des musicien-nes "ordinaires" suisses contemporains.
Un travail ethnographique a permet de savoir ce qu'était être un musicien : quel manière de se positionner dans les styles ? Échantillonnage a été fait par réseau (Bataille, Perrenoud, Brandle, 2017) qui permet d'avoir une approche globale d'une pop réduite.
L'idée c'est de partir de 8 points différents de la population (de jazzman internationaux au joueurs de country en bal), et à chaque fois il est demandé de nommer trois personnes avec qui il serait possible de faire le même type d'enquêtes (cela donne des arborescences).
Enquête sur 123 individus et réseaux de collaboration de 1044 personnes avec ce critère de collaboration. Quels principes orientent les déclarations des enquêté-e-s ? Existe-t-il des clusters de style ("jazzmen", "rockers") ou des styles qui renvoient à des modalités pratiques...
... (jouer des compos ou reprises, jouer dans des grandes salles ou non, etc. ?)
Premier résultat : on a une réseau à composante unique, assez peu clusterisé. La collaboration, c'est ce qui fait l'appartenance au groupe professionnel.
Quand on s'intéresse au nb moyen de liens pour chacun des liens, on observe un cœur du groupe pro et une périphérie (des gens qui jouent assez peu, ou des français/allemands qui viennent pour quelque semaines en Suisse, mais cela ne veut pas dire qu'ils ne sont pas pro).
L'examen du cœur de l'espace pro avec un algorithme de classement hiérarchique descendant (du tout vers différents groupes), cela fait apparaître deux communautés. Malgré la concentration du cœur il y a une partition entre un cluster "Ouest" et "Est".
Dès lors, quelles sont les logiques sociales derrière cette partition ? En répondant à un questionnaire et calendrier de vie il est possible d'avoir des données précises sur les pratiques et parcours/carrière de ces individus (nb dates de concerts, revenus, etc.)
Les plus grosses différences s'observent autour de "Jazz, Blues, Soul", mais surtout avec la catégorie "Musiques improvisées" (qui a été souvent proposée par les enquêté-es en question ouverte), celle-ci est revendiquée plutôt dans le cluster "Ouest".
En partant de là, on commence à voir qu'il y a une partition en terme de posture professionnelle, entre démarche "artistique" au sens noble et une démarche "artisane" (reproduction de l'existant). Il y a aussi la question des musiques électroniques (+ souvent à l'ouest).
Les chercheurs se sont également intéressés à la fréquence des co-occurences de style. Dans le cluster Ouest on a un plus fort éclectisme, avec par ex. un hip-hop mélangé à d'autres styles musicaux (relié au jazz, impro, etc.). Ce n'est pas le même hip-hop à l'ouest ou l'est.
Si on met ensemble la question des styles et les pratiques, plusieurs éléments se dégagent, en particulier :
- Appartenir au cluster Ouest signifie gagner plus d'argent de l'activité musicale.
- L'impact du style disparait presque totalement, mais la variable "jouer des compositions ou reprises" apparaît fortement (à l'Ouest on compose +).
En conclusion : cette opposition artisanat/art montre que le statut d'emploi est un élément majeur de segmentation de cet espace.
Quand on s'intéresse à des comparaisons internationales (Umney, 2014 ; Perrenoud et Bataille, 2017), cette distinction est valable dans les pays industrialisés, mais les "pensées culturelles d'Etat" (Dubois, 1999) jouent aussi (en Suisse l’État s'investit assez peu).
@afs_socio La troisième et dernière communication de cette session du RT14, précédant un moment de discussion, est celle Julien Bruley, intitulée "Manas et ses bardes : du conte à l’épopée, du conteur au professionnel, brève étude de la perception d’une tradition orale au Kirghizstan."
@afs_socio Doctorant en Anthropologie à Lille, il travaille au Kirghizstan, en Asie Centrale. L'épopée de Manas est une tradition orale parmi la plus longue du monde. Composée de trois morceaux, elle parle de Manas, unificateur des tribus Kirghizes et de ses descendants.
Au Kirghizstan, être Manasti (barde récitant l'épopée) offre la possibilité d'intégrer une corporation particulière. Les Manastis ne sont que des hommes, les élèves occupent les places subalternes. On entre dans le champ de la sociologie du religieux.
Deux explorateurs russes (notamment Wilhelm Radloff) ont publié des versions complètes de Manas (milieu XIXe siècle).A cette époque, Manas est passé du statut de conte à celui d'épopée (avec le travail de Radloff). C'est à partir de 1930 que la dimension épopée à dominée l'objet.
A partir des années 30 c'est devenu une épopée Kirghize, transformant aussi la définition de l'auteur. Valikhanov et Radoff ont rencontrés des improvisateurs, des conteurs, mais pas encore des Manasci. Le terme est apparu après la révolution.
Dans l'ensemble les auteurs et historiens considèrent l'apparition du terme dans les années 1920 pour désigner les chanteurs spécialisés dans le conte de Manas.
Dans l'époque soviétique on voit apparaître un nouveau classement.
En 1979 on peut observer un premier classement des Manasti, ceux-ci sont divisés en 4 groupes selon leur "puissance", leur talent, etc. :
- L'élève (Uyronchuk), qui acquiert les ficelles du métier.
- Le conteur professionnel (Chala) qui apprenent des épisodes par cœur.
- Maitre conteur de l'épopée ("vraie Manasti", Chinigi), qui crée leur propre version de l'épopée, en plus de la connaître entièrement.
- Les vénérables (Chon) qui récitent en détail l'épopée.

Ici on a un classement profane qui correspond à la tradition positiviste soviétique.
Le succès du Manasti repose sur des bases solides (éducation, entrainement), dont le fait de devenir Chon Manasti semble reposer sur un talent individuel. En 2000 tous les bardes vont cependant attribuer leur talent à un rêve source d'inspiration (forme d'apparition de Manas).
Valeur symbolique très forte de ce rêve, c'est une tache sacrée. Les scientifiques soviétiques se sont cependant efforcés d’ôter au rêve toute force concrète. Il existe une variante du classement, publiée en 1961 où l'on ne trouve qu'un classement binaire.
C'est ce classement qui est dominant dans les discours contemporains au Kirghizstan. Depuis l'indépendance du pays en 1971, de nombreux discours sur les bardes ont émergés, en dehors de tout contrôle étatique.
On oppose désormais le "vrai" Manasti" et le "faux". Le premier classement évacuait la dimension du sacré, alors que là on scinde le groupe entre sacré/profane. Le premier met l'accent sur la découverte, l'autre sur l’élection.
Tout ces classements sont intéressants pour mieux comprendre la société Kirghize. La diffusion d'enregistrements audio et vidéos a permit une plus large transmission de ce matériel (du maître à l'élève... on est sur des moyens techniques), multipliant le nombre de Manasti.
Depuis 1980 on a des "prodiges", des Manasti enfants qui récitent dès le plus jeune âge. Entre ces catégories les critères de distinction des Manastis correspondent à des éléments fantasmés. La plupart se sont entrainés seuls avant d'aller voir un maître.
Tous n'ont pas eu le "rêve" cependant. Ce qui fait le bon Manasti ce sont les sensations, le ressenti lors de la récitation. L'énergie, la puissance dégagée permet de penser que le barde est habité par une puissance "autre".
Tous les Manasti contemporains ont bénéficié d'une certaine influence (des parents, des médias). Si l'on s'appuie sur le modèle idéal du Manasti ont élimine celle de l'apprentissage pour aller vers un idéal du "don.
Conclusion : le discours spirituel sur Manas est dominant, c'est un paradoxe dans cette société car les principaux promoteurs affirment que c'est un don du peuple Kirghize. Il déclenche l'enthousiasme des jeunes, mais une déconsidération pour ces derniers existe désormais.
Discussion -> Concernant les Manastis, la "validation" se fait par les aînés d'un village. D'autres circuits existent : celui des maîtres qui forment techniquement à la récitation. Depuis l'indépendance du Kirghizstan, l'état a essayé d'introduire des écoles.
Ce projet a pour but de renforcer la place de l'épopée comme emblème national. On parle d'artiste mais le but n'est pas simplement esthétique mais s'inscrit dans un registre du "ressenti" spirituel.
Concernant la méthode de terrain : analyse des discours des organisateurs, entretiens avec les Manastis et vérification de leurs propos. Entretiens semi-directifs où ils parlent souvent de manière expansive.
Discussion -> les appropriations esthétiques arrivent très rarement et se produisent dans le contexte scolaire. Hypothèse : on observerait dans les classes sup aussi beaucoup d'appropriations didactiques, mais plus rarement aussi des appropriations esthétiques.
Par rapport à la critique de Bourdieu, l'article de @scoavoux est intéressant. La critique de la compétence chez Bourdieu insiste sur le fait qu'elle est unidimensionnelle. On perdrait la diversité des modes d'appropriation, sauf que non: c'est une théorie qui permet la diversité
On parle en effet de degrés de compréhension du code, on peut décrire des modes variés d'appropriation des sciences.
Concernant le rapport de salut aux sciences, celui-ci est-il lié au dispositif scolaire ? Pas forcément, car 2 jeunes filles témoignent de ce discours chez elles.
Discussion -> Il y a une continuité en terme d'origine sociale et de capital culturel chez les individus du pôle "Est", ceux identifiés comme "Artisans" plutôt qu'"Artistes". Ces derniers sont issus généralement de milieux + favorisés.
Concernant le rôle de l'Etat, au Royaume-Uni par ex. il y a très peu de soutien à la culture. Par rapport à la France (où il y a l'intermittence), on peut plus difficilement vivre de son art en étant purement "créateur". En Suisse la segmentation artiste/artisan est bcp - forte.
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