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À l’heure des bêtisiers de début d’année, ne boudons pas notre plaisir à re-re-re-regarder ce moment d’anthologie de la télévision française : Le fameux « Dis donc t’arrête de gueuler René, bordel !» du si poli Ladislas de Hoyos.
Mais n’oublions pas pour la petite histoire, ou plutôt la grande Histoire, avec un H majuscule, qui fut aussi Ladislas de Hoyos.
Car Ladislas de Hoyos fut aussi ce journaliste qui un jour de 1972 alla débusquer et piéger au fin fond de la Bolivie un homme recherché depuis 25 ans, et qui coulait là des jours paisibles : Klaus Barbie, alias le Boucher de Lyon.
Ça vaut bien un petit thread. C’est parti !
Nous sommes en 1972.

Ladislas de Hoyos n’est pas sur les traces de Klaus Barbie.

Mais Beate et Serge Klarsfeld, si.
Les inépuisables chasseurs de nazis traquent sans relâche Klaus Barbie, chef de la Gestapo de Lyon pendant la Seconde Guerre mondiale. Il a des comptes à rendre, et les époux Klarsfeld veulent lui présenter la note.
Leur traque les a menés en Bolivie où ils sont sûrs d’avoir débusqué le Boucher de Lyon qui s’y cache depuis 25 ans sous l’identité de Klaus Altmann. Les autorités boliviennes nient cacher le chef de la Gestapo. Il s’agit d’une erreur, d’une méprise.
Flairant le scoop, le journaliste Ladislas de Hoyos piste les époux Klarsfeld pour remonter jusqu’à Barbie et déboule en Bolivie avec son équipe de tournage.
Contre toute attente, il arrive à négocier une interview du fameux Klaus Altmann avec les autorités boliviennes qui acceptent pour dissiper le malentendu.
Le ministre de l’intérieur bolivien pose ses conditions : Le versement de quelques milliers de dollars, des questions communiquées à l’avance, une interview de 3 mn exclusivement en espagnol, sous la garde d’officiers boliviens et dans les locaux du ministère de l’Interieur.
L’interview a lieu le 03 février 1972. Dans la pièce du ministère où l’équipe française de tournage prend place, une poignée d’officiers boliviens et le ministre de l’intérieur sont là. Ambiance.
Klaus Altmann arrive. Ladislas de Hoyos s’attend à voir un type svelte à l’allure militaire. Il garde comme tout le monde en mémoire cette image de Klaus Barbie, chef de la Gestapo de Lyon.
Mais c’est un petit bonhomme âgé, sans grande prestance ni panache, qui fait son apparition.
Ladislas de Hoyos dira plus tard qu’à son arrivée Altmann avait une attitude tranquille mais un sourire figé qui voulait dire « Toi mon bonhomme, j’en ai maté d’autres ».
Une particularité physique marque d’entrée le journaliste : les yeux de son interlocuteur. Sans cesse en mouvement, sans cesse à l’affût, incapables de se fixer sur quelque chose ou quelqu’un.
L’interview démarre et se déroule comme prévue, en espagnol et avec les questions validées à l’avance par les autorités boliviennes. Rien de passionnant, rien de transcendant. Klaus Altmann nie être Klaus Barbie. Il s’agit d’une méprise, d’une erreur.
Il n’est qu’un insignifiant ressortissant allemand qui a obtenu la nationalité bolivienne et qui y vit depuis 25 ans en ayant commencé par y gérer une entreprise d’exploitation de bois avant de gérer depuis peu une compagnie maritime. Rien de plus.
Ladislas de Hoyos sort un peu du cadre imposé et pose quelques questions en allemand. Altmann y répond en allemand également. Les autorités boliviennes laissent faire.
Mais soudain alors que l’interview ronronne, changement de programme. Ladislas de Hoyos s’adresse en français à son interlocuteur et lui demande :
- N’êtes-vous jamais allé à Lyon ?
À la grande surprise de Ladislas de Hoyos, Altmann répond à la question. En allemand certes, mais ce qui sous-entend qu’il comprend très bien le français.
Le coeur de Ladislas de Hoyos vient de s’accélérer. Il vient de piéger Klaus Altmann. Car allez dire « N’êtes-vous jamais allé à Lyon », a quelqu’un qui ne comprend pas très bien le français, il ne pourra pas vous répondre.
Christian Van Ryswyck, le cameraman qui filme l’interview, regarde du coin de l’œil les boliviens qui s’agitent. Il s’attend à devoir couper sa caméra, mais à sa grande surprise les officiers qui ne comprennent pas bien ce qui se passe laissent l’entretien se poursuivre.
Ça tombe bien, Ladislas de Hoyos a une autre idée en tête. Il tend à présent à Klaus Altmann une photo de Jean Moulin, et lui demande s’il le reconnaît. Son interlocuteur s’en saisit, avant de répondre en allemand qu’il ne connaît pas cette personne.
Le piège vient de se refermer sur Altmann. Car la réponse n’avait aucune espèce d’importance. Ce que voulait Ladislas de Hoyos, et ce qu’il a obtenu, c’est qu’Altmann se saisisse de la photo tendue.
Car Ladislas de Hoyos veut repartir avec plus qu’une interview. Il veut repartir avec une empreinte digitale de cet homme. Et sur la photo tendue de Jean Moulin figure désormais celle du pouce de Klaus Altmann, alias Klaus Barbie.
L’interview se poursuit encore quelques instants. Ladislas de Hoyos demande à Altmann de répéter plusieurs phrases en français, ce qu’il fait avec plus ou moins d’entrain.
Mais ce qui compte à présent c’est que l’équipe française de tournage se sorte de là au plus vite. Avant que les officiers boliviens ne comprennent ce qui vient de se passer et saisissent le matériel et les enregistrements pour tout faire disparaître.
Tout va alors très vite. L’interview terminée Christian Van Ryswyck glisse en douce ses bobines dans l’imperméable du consul de France qui assiste à l’entretien, avant de lui murmurer : « Tirez-vous MAINTENANT, et filez à l’ambassade avec les bobines ». Le consul s’exécute.
Christian Van Ryswyck a vu juste : à peine quelques secondes après un officier s’approche de lui et lui réclame les bobines pour que les autorités visionnent l’interview.
Le ton monte, les boliviens sont tendus. Le cameraman fait mine d’obtempérer et remet alors à l’officier deux bobines vierges. Ce dernier n’y voit que du feu et l’équipe de tournage quitte dare-dare les lieux avant que le subterfuge ne soit découvert.
Les français courent à l’ambassade de France située à quelques mètres dans la même rue. Une fois à l’abri, Ladislas de Hoyos se voit offrir un verre de whisky qu’il avale d’une traite, avant d’éclater en sanglots. Il a réussi. Il a débusqué Klaus Barbie.
Et là, entre ses mains tremblantes, il a l’empreinte du pouce du Boucher de Lyon. Sur la photo de Jean Moulin.
Il faudra encore attendre 10 ans pour que Klaus Barbie soit jugé. Grâce à Beate et Serge Klarsfeld, encore et toujours. Et grâce à la chute des généraux boliviens qui va mettre un terme à trente ans de protection.
Le nouveau régime démocratique de La Paz expulsera en février 1983 vers la France celui qui croit alors rentrer en Allemagne. Klaus Barbie atterrira en fait à Lyon, là où tout a commencé, et là où il sera condamné à la prison à perpétuité pour crimes contre l’humanité.
Alors oui, rions avec bonheur et insouciance au fameux « Dis donc t’arrête de gueule René ! » du si poli Ladislas de Hoyos. Mais n’oublions pas pour la petite histoire, ou plutôt la grande avec un H majuscule, qu’il fut aussi ce journaliste-là.
[Fin du thread].
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